I. Abrakam et Faeria▲
Pourrais-tu présenter en quelques mots Abrakam et votre jeu phare, Faeria ? Comment le projet a-t-il débuté ? Comment l'entreprise a-t-elle grandi depuis ses débuts ?
Abrakam est une petite entreprise liégeoise qui travaille principalement sur une IP et un produit : Faeria. Faeria est un jeu de cartes à collectionner digital où vous construisez le plateau de jeu au fil des tours. Là où Hearthstone et autres Shadowverse misent sur les effets aléatoires et extravagants, Faeria mise sur des effets et un équilibrage favorisant une réflexion proche du jeu d'échecs.
Le Faeria d'aujourd'hui est énormément différent de ses premières versions Flash. Le jeu a commencé comme petit projet entre deux passionnés, Jean-Michel Villain et Martin Pierlot, rejoints par la suite par Jen Berger. De fil en aiguille, ils ont rencontré les bonnes personnes et ont su saisir les opportunités qui leur étaient données. Ils ont promu le jeu en allant aux différentes grandes conventions, portant eux-mêmes tous les PC qui feraient tourner leur jeu. Ils ont fondé Abrakam en 2005, après un kickstarter(1) qui a rencontré un franc succès.
Quelle a été la réception des joueurs face à Faeria ?
Extrêmement positive. Une des plus grandes forces de Faeria est sa communauté, forgée à la main, en allant rencontrer les joueurs aux conventions à l'époque même de la version Flash. On entend souvent des comparaisons flatteuses de nos joueurs par rapport à des mastodontes du secteur comme Hearthstone, et cela nous remplit de joie !
Comment le jeu est-il équilibré ? Le travail est-il continu, avec des corrections à chaque mise à jour, ou est-ce plutôt un équilibrage dès la conception sans évolution ultérieure ?
L'équilibrage est un processus constant, nos community managers et designers gardent un œil attentif sur ce qui se joue, les tendances et les cartes sous-jouées. Ils vérifient que la « meta » est saine, et qu'il y a assez de diversité à tous les niveaux de play.
Lorsque l'on sort une extension comme Fall of Everlife ou Oversky (qui fait désormais partie du core set), on playtest les cartes avec des joueurs triés sur le volet, les Vanguards, qui sont la plupart du temps des joueurs extrêmement motivés et assez haut dans le classement. On playtest beaucoup, car, avec un jeu de cartes comme Faeria, une carte auparavant nulle et sous-jouée peut d'un coup devenir un must have à cause d'une nouvelle carte. On essaie d'éviter ce phénomène ou en tout cas de ne pas « donner du pied dans la fourmilière » lorsqu'on sort de nouvelles cartes, mais cela arrive… Raison de plus pour dire que l'équilibrage, ce n'est pas une one-time-thing !
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II. Toi, ton historique et ton travail▲
D'où vient ton intérêt pour l'industrie du jeu vidéo (pas comme joueur, mais comme développeur) ? Comment en es-tu venu au jeu vidéo, quel est ton parcours ?
Quand j’ai commencé à jouer sur PC vers mes dix ans, à des jeux tels que Heroes of Might and Magic (HoMM) puis Warcraft, j’ai découvert des programmes appelés « éditeurs de cartes ». Curieux, j’ai commencé à manipuler ces programmes, et vers 13-14 ans j’avais déjà créé bon nombre de cartes pour HoMM 3 et 4 : j’avais délaissé le jeu pour l’étendre, et j’adorais ça.
Atteignant les limites de ces éditeurs, je me tournais alors vers celui de Warcraft 3, autrement plus complet. C’est en créant des cartes et campagnes complexes avec ce dernier que je me suis rendu compte que je voulais travailler dans le secteur du jeu vidéo « quand je serai grand ». Je jouais à la campagne solo du jeu et après chaque carte, j’allais voir comment les différents événements avaient été « programmés ».
Ensuite est arrivé HoMM 5. Avec l’aide de la communauté, j’ai participé activement à l’extension de sa base de créatures avec le « New Creature Framework » : via un hack de l’exécutable du jeu, nous étions capables de créer de nouvelles créatures avec des pouvoirs, modèles, textures et effets inédits. J’ai également participé à l’élaboration de nombreux autres mods, comme la possibilité de placer des bâtiments inexistants dans le jeu de base dans le cadre d’une génération procédurale de cartes.
Plus je modifiais mes jeux favoris, plus mon intérêt pour l’informatique et le développement de jeux vidéo grandissait, ce qui m’a fait choisir des études universitaires en informatique, forcément. J’étais intéressé par l’aspect map making, mais aussi et surtout programmation des jeux. Que se cachait-il derrière l’API graphique proposée par l’éditeur de Warcraft 3 ? Pourrais-je moi aussi un jour définir ma propre API ? Tout cela m’a amené à renforcer mes compétences de programmation, avec toujours ce but en tête : développer des jeux vidéo. Toujours dans cette optique, je suis entré en contact avec Fishing Cactus pour tenter un stage chez eux, malheureusement les stages proposés par l’université de Liège (ULg) sont trop courts et cela n’a pas pu se faire.
Néanmoins je ne m’avouais pas vaincu, et c’est ainsi que j’ai réalisé mon travail de fin d’études (TFE) avec le seul service de l’ULg connu pour toucher de relativement près ce secteur via l’aspect intelligence artificielle. J'ai pu alors consacrer mon TFE à écrire un simulateur de Hearthstone ainsi qu'un agent « intelligent » qui avait appris à jouer tout seul au jeu sur base de centaines de milliers de parties aléatoirement générées. Mon TFE fut un succès et j'ai même pu en sortir un papier scientifique (https://orbi.uliege.be/handle/2268/191463) ! On m'a proposé de commencer un doctorat dans le même service où j'avais réalisé mon TFE, et j'ai accepté. Après quelques mois, j'ai entendu parler d'Abrakam via un projet qui aurait pu se faire entre cette entreprise et notre service, et c'est là que je les ai rencontrés pour la première fois. Par la suite, j'ai vu qu'ils recherchaient des testeurs bénévoles pour le tutoriel de Faeria (qui n'était pas encore sorti, nous sommes en janvier 2016 !) et j'ai participé. Demandant s’il y avait des offres d'emplois, on m'expliqua qu'ils recherchaient quelqu'un avec un peu d'expérience dans Unity et en Java. En un mois, j'appris à me servir de Unity et réalisais un petit jeu simple, mais fun que je joignais à mes CV et lettres de motivation. Vous connaissez la suite : fin mars 2016, je faisais désormais partie d'Abrakam en tant que Junior Client Developer !
À quelle époque de la vie du studio es-tu arrivé ? Comment as-tu vécu son évolution avec les années ? En quoi consiste ton travail ?
Je suis arrivé environ un mois après la sortie en Early Access sur Steam de Faeria. Dès mon arrivée, j'ai été catapulté sur le projet, le premier mois à surtout résoudre des petits bugs et me faire la main avec la structure du projet, autant client que serveur. On se battait encore avec nos serveurs chez OVH à l'époque, et on découvrait les problèmes de stabilité quand ils arrivaient. Ma première tâche fut de passer d'OVH à AWS. En deux semaines, nous étions sur cette nouvelle infrastructure, et nous y sommes toujours aujourd'hui !
Ce qui est génial chez Abrakam, c'est que nous étions toujours une petite startup qui venait de lancer son jeu sur Steam. Du coup, je touchais à tout et mon évolution en termes de compétences n'en a été que plus rapide. De Junior je suis passé Senior après un an, et quelques mois plus tard on m'a offert la possibilité de mener l'équipe des développeurs. C'est ce que je fais depuis : coordonner et organiser le travail, donner des estimations en temps et ressources au management, intégrer les nouvelles recrues, prendre les balles pour l'équipe… Cela ne veut pas dire que j'ai arrêté de mettre les mains dans le cambouis ! Je continue à implémenter certaines fonctionnalités, de nouveaux effets de gameplay, etc.
Quelles sont tes interactions avec le reste de l'équipe (surtout ceux qui ne programment pas tellement) ?
Je suis le point central entre « les devs » et « le reste ». Les designers viennent me trouver s’ils ont un problème ou une question sur un outil, ou pour savoir ce que cela coûterait d'adapter telle ou telle mécanique. Je me coordonne avec les artistes (SFXSound effects, VFXVisual effects, illustrateurs) pour intégrer leurs assets dans le jeu correctement. C'est vraiment chouette d'être dans cette position, car même si cela représente une quantité de travail appréciable, ce challenge me permet de toucher à tout et travailler avec tout le monde !
À quel point les employés peuvent-ils apporter leurs idées dans toutes les phases du développement ? Comment se fait le tri ? Peut-on participer à l'implémentation de son idée (en dehors de son expertise technique première) ?
Tout le monde peut donner ses idées de fonctionnalités ou d'adaptations qu'ils pensent nécessaires, même s’ils ne sont pas designers. On peut aussi donner notre opinion sur le pricing des différents produits. Après, ce seront toujours les designers et le management qui auront le dernier mot, mais tout le monde peut avoir voix au chapitre !
Par rapport à qui implémente quoi, il arrive parfois qu'une fonctionnalité soit plus chouette à implémenter qu'une autre évidemment (les in-app purchases vendent moins du rêve que la nouvelle mécanique Corrupt par exemple). Néanmoins, tout le monde s'y retrouve toujours : je n'impose personnellement jamais une tâche à quelqu'un, je laisse l'équipe se diviser le travail selon ses affinités. Dans une telle dynamique, ce que j'apprécie énormément avec ma team c'est que, organiquement, à tour de rôle, chacun fera des sacrifices pour qu'un autre bénéficie du fun d'implémenter une feature qu'il veut absolument faire. Personne ne se sent jamais forcé et chacun est capable de soi-même parfois prendre des choses moins cool pour que ça profite à un autre. Et si vraiment personne ne veut de quelque chose (comme les in-app purchases !), je suis là pour les soulager de cela. C'est mon rôle de le faire et je le fais toujours avec plaisir !
Quels sont les éléments clés pour la réussite d'un studio ? De même pour un jeu indépendant ?
Avoir une culture forte et que tout le monde soit à 200 % dedans. Cela peut être simplement de faire des jeux qui nous plaisent, ou bien tout faire pour travailler sur des projets avec des publishers renommés, ou encore (et c'est ma préférence !) tout faire pour nos joueurs. Ce qui est important, c'est qu'il y ait toujours une cohésion entre tous les membres du studio, autant envers les objectifs que dans l'adversité.
Que conseillerais-tu à un étudiant (en fin d'études secondaires) qui souhaite se lancer dans le jeu vidéo ?
Il faut tout d'abord essayer de se faire une idée du marché de l'emploi du jeu vidéo actuellement. Le statut de ce marché diffère de pays en pays, et il faut déjà se dire qu'en Belgique, malheureusement, il est très petit. Du coup, si quelqu'un veut travailler dans ce domaine, il faut savoir se vendre. Rien de mieux pour cela de commencer dès que possible à faire des projets sur le côté, de qualité, que vous serez fier de montrer (code inclus !) à vos entretiens. Si c'est plutôt pour un travail artistique, c'est pareil : construisez-vous un portfolio du feu de dieu !
En parallèle, avoir un solide bagage avec une formation du supérieur ne peut qu'ajouter à vos atouts. J'ai fait le choix d'une formation universitaire en informatique pour que, lorsque je postulerais à un job dans le jeu vidéo, je puisse dire : « J'ai toujours voulu faire du JV, tellement que j'ai choisi ce chemin de 5 ans pour vous prouver de ce que j'étais capable de faire pour arriver à mes fins ». En plus, cette formation donne une bonne base générale pour un emploi de développeur et est habituellement reconnue mondialement. Pour les autres types d'études ma foi, je ne recommanderais pas trop l'infographie. Très peu de personnes sortant d'infographie trouvent un travail dans l’industrie du jeu vidéo dès leur sortie de l'école malheureusement. À moins que vous ayez un véritable don et un portfolio digne de ce nom !
Je le répète encore, la meilleure chose à faire, quelles que soient les études choisies, c'est de montrer ce que vous savez faire. Les side projects sont les choses les plus importantes à nos yeux, et savoir que vous avez un diplôme du supérieur (haute école, ingénieur ou universitaire) quel qu'il soit nous montre que vous en voulez.
III. Le jeu vidéo en Belgique▲
À quoi ressemble l'industrie du jeu vidéo en Belgique (francophone) ?
Elle est malheureusement assez pauvre. Il y a évidemment des acteurs comme Abrakam à Liège et Fishing Cactus à Mons, ainsi que quelques petites startups ici et là qui se lancent sur des jeux mobiles ou AR/VR (comme le Terragame Center à Namur), mais l'industrie reste très peu développée.
Est-il facile de se financer, de lancer une entreprise ?
Ce secteur ne bénéficie pas d'un tax shelter comme l'industrie du cinéma par exemple, et la Belgique n'est malheureusement pas réputée pour motiver la création d'entreprises. Les kickstarters sont des bonnes alternatives, c'est ce qui a permis à Abrakam de se lancer et de trouver des investisseurs comme Faktory, Meusinvest, la région, etc. Cependant, il faut quand même la plupart du temps s'endetter, et plus les investisseurs sont nombreux, plus vous avez de chances de perdre les rênes de votre entreprise.
Les conditions de travail sont-elles bonnes, comparables à celles que tu as pu rencontrer professionnellement avant ?
Les conditions sont très bonnes pour un pays comme la Belgique et compte tenu de la situation du secteur dans ce pays. Néanmoins, il ne faut pas s'attendre à être payé comme dans le secteur bancaire ! Au début, je gagnais beaucoup moins que ce je gagnais avec ma bourse de doctorat à l'Université, mais l'écart s'est résorbé petit à petit. Par rapport à la qualité de vie, elle est excellente. Dans le cas d'Abrakam, les horaires sont extrêmement flexibles et le télétravail est autorisé tant qu'il n'impacte pas la bonne communication dans la boite.
Que penses-tu de l'affaire Eugen Systems et de ce que l'on peut entendre sur les conditions de travail en général dans l'industrie ?
Je suis chagriné par ce genre d'affaires, et le fait qu'elles se multiplient ces derniers temps. Cependant, cela se passe souvent dans les grosses entreprises, où l'argent est la seule culture que le management entretient. Ces firmes qui font passer leurs revenus avant le bien-être de leurs employés, et même avant les attentes et les joies de leurs joueurs ne sont pas mieux que des banques selon mon point de vue. Des compagnies comme Riot Games par exemple sont un parfait exemple de comment réussir à avoir une excellente croissance tout en maintenant les envies des joueurs au premier plan et des employés motivés mais non exploités.
C'est le problème de cette industrie. Travailler dans le JV, c'est le plus souvent un job de rêve, donc les candidats sont prêts à être payés moins, travailler plus, et demander moins de vacances. Les entreprises qui jouent là-dessus pour exploiter leurs employés me dégoûtent et entachent la réputation du secteur. Malheureusement, c'est une réalité qu'on ne peut nier. Si je peux donner un conseil à ceux intéressés de travailler dans le secteur, c'est de toujours bien vous renseigner sur les boites ou les divisions dans lesquelles vous postulez. Recherchez si possible des témoignages de personnes y ayant travaillé, ce qu'elles pensent de la culture d'entreprise.
IV. Choix techniques▲
Pourquoi Abrakam a-t-elle posé le choix de Unity comme moteur de jeu ?
Au début, le client de Faeria était codé en Flash. Cette technologie vieillissant très mal, il était temps d'en changer, mais les fondateurs à l'époque ne savaient pas trop vers quoi se tourner d'autre qui soit portable et facile à apprendre. Quentin Chevalier, le premier dev à être entré à plein temps dans l'entreprise avait des connaissances sur Unity et leur a proposé de faire le switch. Cela s'est très bien passé, et nous l'utilisons depuis lors.
Regrettez-vous ce choix ?
Absolument pas ! Ce moteur très versatile nous a permis d'essayer beaucoup de choses dans un temps réduit, et nous n'avons jamais ressenti le besoin d'en changer.
Comment gérez-vous l'évolution de la technologie avec les années ? Faites-vous des mises à jour régulières de Unity ou plutôt annuelles, voire pas du tout ?
Jusqu'en 2017, nous suivions régulièrement les mises à jours de Unity. Puis la qualité des patchs a commencé à se dégrader, amenant plus de bugs internes que de solutions, et nous avons donc ralenti la cadence de suivi des mises à jour en 2017. Nous étions littéralement effrayés à chaque fois que nous mettions à jour notre engine… Est-ce que les clients sous Mac fonctionneraient toujours ? Est-ce que les utilisateurs n'auraient pas une brusque perte de performance ? Est-ce qu'un crash n'allait pas apparaître sur certaines configurations ? C'étaient des temps difficiles… Nous reportions régulièrement les bugs à Unity, mais la qualité n'était plus au rendez-vous.
Puis, Unity a annoncé en avril de cette année un nouveau plan de releases pour leur engine. Chaque update passe désormais par des tests extensifs et complets, au lieu d'un sous-ensemble, et ils ont introduit la branche « LTS » (long term support) avec Unity 2017.4. Depuis, toutes les deux semaines, cette branche reçoit une mise à jour qui ne fait que corriger des bugs et plus aucun ajout de feature qui pourrait casser quelque chose. Toutes les deux semaines, nous mettons à jour l'engine, et nous n'avons quasi plus de problèmes ! On peut dire que nous nous sommes réconciliés avec Unity .
En interne, nous avons fait le choix de rester sur les versions LTS pour Faeria tout du moins. Nous mettons à jour l'engine dès qu'une nouvelle version LTS sort, ce qui veut dire que nous ne pouvons bénéficier des nouvelles features qu'une fois par an désormais, lorsque par exemple 2018.4 sortira fin de cette année. Nous sommes un peu frustrés de ne plus bénéficier des nouvelles features aussi vite qu'elles sortent, mais c'est pour un mieux pour la stabilité de Faeria .
Que pensez-vous de la direction prise par le moteur ? Quid d'un projet comme Godot, de la récente annonce sur la libération du moteur Xenko ?
Comme dit plus haut, nous sommes vraiment contents de leur nouvelle façon de sortir les mises à jour. Nous sommes alignés avec la direction qu'ils prennent au niveau de leur roadmap, avec des améliorations telles que le Shader Graph, l'intégration de Vulkan, le paradigme d'Entity Component System ou encore leur nouveau système de Jobs super optimisés. Le fait qu'ils travaillent actuellement sur les nested prefabs (ENFIN) est aussi un très bon signe.
Quel cycle de développement utilisez-vous ? Plutôt agile ou traditionnel ?
Il change selon les périodes, mais principalement agile.
Quel est votre processus de travail (workflow) ?
Habituellement, les fondateurs décident les grandes lignes des roadmaps de nos produits et nous les présentent régulièrement pour que l'on puisse aussi donner notre avis. Chaque point de ces roadmaps est ensuite divisé en features. Ces features sont détaillées par les designers dans des « spécifications » qui sont ensuite présentées aux développeurs. Nous pouvons alors donner notre avis sur ces dernières, et demander des informations supplémentaires pour les cas dégénérés qui peuvent arriver. Les développeurs cassent ensuite cette spécification en une liste de stories et sous-tâches, les estiment, puis nous planifions le travail sur des sprints de deux semaines.
Utilisez-vous un logiciel de gestion de version (Perforce, Git, etc.), notamment avec la récente extension Git pour Unity ? Quels en sont les avantages, les inconvénients ?
Nous n'utilisons que Git, principalement parce que c'est le standard et que tout le monde le connait de près ou de loin. Nous n'utilisons aucune intégration dans Unity, et cela peut poser des problèmes lorsque nous sommes plusieurs à éditer le même prefab ou la même scène… S’il y a un conflit sur l'un d'eux, nous sommes dans la… mouise. Nous avons déjà regardé un peu les alternatives mais n'avons jamais encore fait le switch. Il faut aussi que nous ayons le temps de le faire, ce qui n'arrive pas souvent !
Comment gérez-vous les différentes plateformes, notamment au vu des résolutions et ratios possibles ?
Le fait que nous soyons sortis des plateformes mobiles nous permet de ne plus nous soucier de ce genre de problèmes (à part être sûr que le jeu peut se jouer sur des résolutions 4/3 à 16/10). Mais lorsque nous étions aussi sur téléphone, nous avons dû créer un outil de toutes pièces qui nous permettait d'encoder le layout d'un écran de deux façons, un pour petits écrans et un pour écrans « normaux ». Nous designions un écran pour l'ordinateur et les tablettes, et enregistrions un « snapshot » des positions, tailles, relation de parenté… des différents objets. Puis, nous modifions ces propriétés pour que l'écran apparaisse différent et de manière plus adaptée sur mobile, et enregistrions ce second snapshot. Au démarrage, le jeu déterminait la taille de l'écran puis choisissait l'un ou l'autre affichage selon. C'est moi qui suis venu avec l'implémentation de cet outil bien pratique et j'en étais assez content ! Il nous a permis de continuer à n'avoir qu'un seul projet Unity pour toutes nos plateformes.
V. Analyse des joueurs▲
Quel suivi de vos joueurs effectuez-vous ?
La base : l'acquisition, la rétention, le CCUConcurrent users : nombre d'utilisateurs simultanés, la monétisation. Nous enregistrons aussi quelques données de « session », comme le nombre de fois que vous restez inactif dans le jeu, combien de ressources vous dépensez, combien de coffres vous ouvrez.
Nous sommes cependant contre l'idée d'intégrer des librairies comme Red Shell pour mesurer l’acquisition, qui frôlent le spyware. La confidentialité de nos utilisateurs est quelque chose qui nous tient à cœur, et nous n'utilisons que des outils qui sont en accord avec GDPR en essence autant que légalement.
Quelles données extrayez-vous des parties ?
Pour chaque partie, les cartes des decks des joueurs, qui a gagné, le type de partie, qui jouait contre qui, combien de Faeria a été consommée, combien d'unités tuées, de cartes jouées, le nombre de tours… À peu près tout !
Estimes-tu que ces mesures sont importantes pour le développement du jeu ?
Évidemment ! C'est ce qui nous permet de savoir ce que les joueurs aiment acheter par exemple, et donc guide nos choix sur les prochaines features à développer. Pour les stats des parties, cela nous permet d'avoir une belle vue sur la meta actuelle du jeu, quelles cartes sont surjouées, lesquelles sous-jouées, est-ce qu'une couleur en particulier prend le pas sur les autres… Cela aide beaucoup les designers, en plus de leur communication constante avec nos joueurs sur Discord et l'input des Vanguards.
Suivez-vous les discussions sur le Reddit dédié à votre jeu ?
Bien sûr, l’œil d'Abrakam n'est jamais loin…
VI. Monétisation▲
Comment monétisez-vous le jeu ?
Maintenant que nous sommes redevenus buy to play, principalement par l'achat du jeu en lui même. Les extensions que nous sortons sous forme de DLC sont une autre facette de notre monétisation. Il subsiste également la possibilité d'utiliser de l'argent réel pour avoir plus vite des objets cosmétiques, mais jamais pour avoir un avantage gameplay.
Quelles sont les contraintes dues aux plateformes sur lesquelles le jeu est disponible (PC, mobile) ? Comment gérez-vous les disparités de tarif ?
À l'époque, nous n'avions pas beaucoup le choix. Le Play Store sur Android nous laisse beaucoup de liberté quant aux prix, mais Apple en contrepartie nous force à utiliser leur grille. Habituellement, les prix sous Android suivaient ceux imposés par la grille d'Apple en dollars, mais les taux de conversion pouvaient varier d'une plateforme à l'autre. Steam se comportait comme Android, très flexible.
Comment votre système a-t-il évolué avec le temps ?
Passer d'un projet supporté par un serveur uniquement sur Steam à un projet sur Steam, Android et iOS ne fut pas une tâche facile. Je le sais, car j'étais le principal programmeur pour tout cela ! Nous avons dû revoir en profondeur notre façon d'authentifier les joueurs, qui auparavant ne se basait que sur l'authentification Steam. Nous avons dû aussi sécuriser notre protocole, et faire quantité d'aller-retour avec Apple pour trouver une façon d'authentifier nos joueurs qui leur convenait (nous voulions au départ utiliser Game Center et Google Play, mais Apple ne voulait pas d'un jeu qui forçait ses joueurs à utiliser son compte Game Center pour jouer… Allez savoir !). Par rapport à la monétisation elle-même, intégrer les in-app purchases n'était pas une mince affaire, encore une fois parce que tout achat passe par nos serveurs. Après quelques mois de travail, nous avons finalement pu sortir le jeu sur mobile, mais j'en garde un mauvais souvenir… !
Pourquoi passer d'un système free to play à une vente plus classique ?
Après avoir tenté l'expérience F2P pendant deux ans, les fondateurs ont décidé un retour aux sources. En effet, nous avions petit à petit été forcés de perdre notre attachement pour nos joueurs face à la rude concurrence des autres F2P. Nous devions investir tout notre temps et notre énergie dans l'implémentation de features de rétention, de monétisation ou d'acquisition, et plus grand-chose au niveau gameplay ou feature apportant du fun à nos joueurs. Tout tournait toujours à comment ces nouvelles features allaient aider à avoir de meilleurs KPI, et nous en sommes devenus fatigués. Le retour au B2P a été reçu très positivement par nos joueurs, et nous sommes tous heureux chez Abrakam d'y être revenus. C'est ce qui nous a permis de sortir des fonctionnalités demandées depuis longtemps, comme plus d'éléments sur l'histoire du monde de Faeria, plus de mécaniques déjantées, etc.
VII. Ta vision de Developpez.com▲
Quel contenu cherches-tu le plus (sur Developpez.com et d'autres sites) ?
« Unity… » Des réponses à des questions sur Unity : comment faire ceci, comment intégrer cela, comment optimiser ceci, est-ce OK d'utiliser ça comme cela…
Quelles seraient les raisons de venir ou, au contraire, d'éviter cette rubrique et son forum, selon ton expérience ?
Quand j'étais adolescent au début de mes études secondaires, j'ai beaucoup utilisé Developpez.com. C'est sur ce site que j'ai commencé à apprendre à faire des projets Windows Forms avec Visual C++ à l'époque… Je me rappelle d'une communauté vibrante et accueillante, à refaire je reviendrais sur Developpez.com pour mes débuts. Les tutoriels que j'y ai lus m'ont aidé lors de mes premiers pas vers l'informatique !
Quels sont tes conseils pour les membres de Developpez.com (débutants à experts dans l'industrie) ?
Continuez comme ça ! Continuez à vous entraider !
VIII. Pour finir▲
Aurais-tu quelques anecdotes à raconter ?
- Mon tout premier commit chez Abrakam était pour résoudre un bug lié au crafting de cartes, quand il fallait encore utiliser de la memoria pour ça. Si tu avais exactement le nombre de memoria requis, tu ne pouvais pas crafter… Eh oui, mon premier commit était juste de transformer un « > » en « >= » !
- Lorsque Faeria est sorti de l'Early Access, et lorsqu'il est devenu F2P, les deux fois l'équipe complète était au studio à minuit pour faire la mise à jour… et partager en même temps un barbecue ! C'était assez cocasse de mettre à jour les serveurs avec un pain saucisse à côté de ma souris !
- Quelques mois après mon arrivée chez Abrakam, nous avons eu une énorme panne de base de données. Pendant deux jours, plus rien n'avait été écrit, donc dès que nous allions couper les serveurs, la progression et les achats des deux derniers jours auraient tout simplement été oubliés. C'était arrivé un samedi matin, et nous avons passé, le CEO de l'époque Olivier Griffet et moi, tout le samedi à rétablir les données sur bases… des logs ! C'était, je pense, le plus beau jour que j'ai passé chez Abrakam. Nous sommes restés jusqu'à très tard dans la nuit pour nous assurer qu'une fois les serveurs redémarrés, tout le monde avait bien récupéré toutes ses données.
- Évitez Apple et ses bibliothèques à n'importe quel prix : c'est le MAL, ils n'aiment pas les développeurs et vous le font sentir .
Quel est ton jeu du moment ?
J'ai acheté une Switch récemment et je suis totalement hooked par Breath of the Wild. Je n'ai de toute ma vie jamais vu un jeu aussi parfait à tous les niveaux. Je joue également toujours à League of Legends (depuis 9 ans maintenant…) et je refais une saison de Diablo 3 de temps à autre. Et comme beaucoup, j'attends avec impatience un Warcraft 3 Remaster, ou mieux… Warcraft 4 !