I. Introduction▲
Voici un petit retour sur mon expérience personnelle dans le monde du jeu vidéo. Cet article parlera de l’origine de mon projet, des difficultés rencontrées et d’un épilogue. J’espère qu’il en inspirera d’autres et les avertira aussi de certains problèmes qu’ils pourraient rencontrer. Je ne me concentrerai pas sur l’aspect technique, mais juste sur le déroulement du projet. C’est parti !
Je sais qu’il y a pas mal de blogs et conseils au sujet de ce qu’il faut éviter de faire pour un débutant dans l’industrie du jeu vidéo. J’en ai moi-même parcouru bon nombre pour trouver l’inspiration et aussi éviter de probables erreurs. Malheureusement, il n’y a pas trop de détails au niveau des expériences de développeurs indépendants et de ce qu’ils ont vécu. Il y a bien le récit des créateurs de Super Meat Boy et c’est justement après l’avoir lu que j’ai décidé de faire la même chose en espérant que contrairement à moi, d’autres me liront avant de commencer leur projet.
Je me nomme Alain Perrin (pas l’entraîneur de football), développeur système, installé en Chine. J’ai toujours voulu faire un jeu. Cependant, chaque fois que je commençais, je m’arrêtais dès que j’avais réglé un problème technique, suffisamment satisfait de mon travail. Ça me suffisait jusqu’au jour où, en discutant avec ma femme (fiancée à l’époque), elle se moquait des gens fiers et sûrs d’eux, mais qui n’ont jamais réellement accompli ne serait-ce que la moitié de leur rêve. Elle ne le savait pas, mais c’était là une violente attaque involontaire sous la ceinture et il me fallait donc me défendre. J’ai donc entrepris de commencer et finir un jeu, peu importe son succès. Il fallait juste que je le finisse en ayant donné le maximum (sans bâcler le travail). Cela expliquera donc, au moins en partie, pourquoi le jeu a été codé entièrement à la main (C avec la bibliothèque graphique SDL 2) alors qu’un moteur de jeux comme Unity ou Unreal m’aurait bien facilité la tâche.
II. Démarrage▲
Je n’avais jamais envisagé de faire un jeu commercial, je voulais juste faire mieux que mon vieux Tetris (je pense en 2003, un mixte d’assembleur et de C with class). C’est décidé : reproduire Pacman en rendant les ennemis plus intelligents que la version originale. Après tout, j’ai fait des études en intelligence artificielle, ça devrait donc être possible. Après un moment de développement, le jeu commençait à se différencier de plus en plus de son modèle et les idées fusaient dans ma tête. Ça a commencé à devenir un vrai jeu. Et c’est là que j’ai commencé à envisager de produire quelque chose qui pourrait être vendu. Il me fallait donc des graphismes autres que quelques sprites ridicules récupérés sur Google Images. C’est là qu’ont commencé mes premiers ennuis.
En tant que développeur, trouver un autre développeur était un jeu d’enfant. Par contre, garder celui-ci investi dans le projet est un vrai défi. Vous l’aurez bien compris, il est parti et je n’ai pas eu la force d’en relancer un autre. Le départ d’un homme aussi brillant était un coup de massue au moral. Il a tout de même été très honnête sur les raisons de son départ : « Je quitte le projet parce que je ne vois pas où ça va aller ». Au début, je pensais qu’il parlait d’argent et je ne comprenais pas vraiment puisque dès le début l’argent était un objectif bonus, mais pas la priorité. En réalité, il parlait d’aboutissement. Le projet n’aboutirait pas. Il ne voulait pas perdre son temps dans un projet qui ne finirait jamais. Heureusement pour moi, du fait de ma personnalité, ça a été une motivation supplémentaire pour me relancer.
C’est ainsi que j’ai fait table rase du passé. J’ai tout recommencé depuis la première ligne de code et j’ai rencontré une nouvelle difficulté :« Je code tout ce que je peux, je trouverai bien un graphiste plus tard ». En sillonnant les forums, je me rends compte que c’est une erreur commune.
III. Element Mask▲
Maintenant que j’avais les bases, il était question de faire un jeu complet. Nom du jeu, Element Mask. C’est l’histoire d’un jeune homme parcourant le monde à la recherche de masques volés par des démons. Quand il récupère un masque, il obtient les pouvoirs de celui-ci. En ajoutant une histoire, de nouveaux personnages apparaissaient et le gameplay se compliquait. Je l’ai poussé au maximum pour obtenir quelque chose de potable sans aller trop loin, car il était temps de chercher plus sérieusement un artiste pour les graphismes.
Ici, on voit un petit bonhomme, une barre bleue (barre de pouvoirs) et de petits artefacts permettant d’utiliser de manière ponctuelle des objets récupérés tout au long des niveaux. Une fois encore, tous les sprites venaient de Google Images.
Ça commençait à être un peu long, je n’arrivais pas à trouver un graphiste. Mon beau-frère finit par accepter de m’aider. Un petit tour en France et hop petite désillusion, il ne fait que de la 3D. Je n’ai pas été assez clair lors de ma requête. Heureusement (ou pas), il a un copain qui a un copain qui pourrait être intéressé. En moins de 10 minutes, un rendez-vous est fixé. Le lendemain, je suis chez lui et je suis impressionné, j’avais affaire à un gameur et pas mauvais pixel-artiste. Mieux, il accepte très vite d’être mon partenaire, le risque que le jeu ne rapporte peut-être rien ne le dérangeait pas, car il avait aussi envie de challenge. J’ai donc obtenu le partenaire idéal.
Une fois de retour en Chine, les choses commencent bien. Je reçois des mails et plein de suggestions. Je lui ai donné carte blanche. Il avait la liberté de faire ce qu’il voulait tant que ça ne dépassait pas mes compétences quand il faudrait coder tout ça. Et ça a donné un monde avec des PNJs mi-humains mi-robots.
C’est reparti, le projet est relancé et tous les signaux sont au vert. Je commence même à finaliser le cahier des charges et les échéances. Au vu de la vitesse à laquelle le mec bosse et de son imagination, je ne pouvais pas espérer mieux.
IV. Chute et renouveau▲
Ceux qui ont joué à mon jeu le savent déjà : ces images n’ont rien en commun avec le jeu sorti. Vous l’avez compris, il y a eu un problème. L’e-mail contenant les images ci-dessus était son dernier.
Contre toute attente, il ne répondait plus. Et comme un malheur ne vient jamais seul, mes ligaments croisés se sont partiellement rompus en jouant au football et je suis coincé au lit quelques semaines avec un an d’interdiction de faire du sport hors physiothérapie, bref la déprime. Je n’avais qu’une chose à faire, c’est tout faire tout seul. Et donc second reboot, mais cette fois je pars du principe que je fais tout, tout seul. Je commence par me souvenir que plusieurs années plus tôt j’étais dessinateur amateur et faisais des bandes dessinées pour mes copains au collège. J’ai donc commencé à faire toutes les ressources graphiques, les unes après les autres, et changeais le gameplay chaque fois que je n’arrivais pas à dessiner quelque chose.
En d’autres termes, on voit dans le jeu que ce que j’ai pu dessiner et tout le reste allaient dehors sans concession. Mon problème était maintenant différent : au préalable, j’ai passé une grande partie du temps à attendre de l’aide ou à en chercher. Cette fois je perdais énormément de temps à dessiner, car je n’avais plus le niveau et surtout je n’avais plus la passion du dessin. Je suis devenu développeur et j’avais complètement oublié le dessin, jusqu’à même oublier que je savais dessiner. Je vous le dis tout de suite, chaque sprite du jeu était un calvaire, car je le trouvais laid et ça me prenait trop de temps pour un résultat décevant, mais c’était ça ou rien.
C’est donc ainsi que le gameplay et même l’histoire ont changé. Adieu Element Mask, vive Soul of Mask. Je travaillais plus sereinement, chaque chose était faite non pas comme je voulais, mais comme je pouvais et au maximum de mes capacités du moment. Mis à part l’ennui du dessinateur, j’ai recommencé à prendre plaisir à faire le jeu pour finalement obtenir quelque chose de plus beau que la première image sur cette page.
Le jeu ne ressemble plus à Pacman, mais quand on y joue, on sent très bien son influence. Les niveaux peuvent être assez grands (jusqu’à quatre écran de large) et contenir, non plus quatre fantômes, mais plus de quinze PNJs différents sans compter leurs variantes.
Le projet commence en 2014, le premier redémarrage a lieu en mai 2015 et le second en février 2017. Soul of Mask sort sur Steam en novembre 2017. En fait, le développement de Soul of Mask n’a duré que neuf mois en tout, mais il a fallu trois ans depuis la première ligne de code jusqu’à la publication pour un total d’un peu plus de 21 000 lignes de codes.
V. Marketing▲
Eh oui, là aussi, ça a été la catastrophe. J’étais obnubilé par la création du jeu en oubliant qu’il devait être connu si je voulais qu’il soit vendu. Le marketing a donc commencé un mois avant sa sortie sur des sites de développeurs. J’ai fini par comprendre que les sites de développeurs c’est génial : les gens vous disent les choses cash, mais trop souvent d’un point de vue de développeurs. Ils voient la quantité de travail accompli et ça les attendrit et laissent souvent passer des défauts. Ce qu’il faut faire c’est aussi trouver un moyen de tomber sur des non-développeurs qui eux n’ont aucune idée des difficultés et donc n’ont aucune indulgence. Le marketing, je l’ai appris à mes dépens, commence dès qu’il y a quelque chose à vendre. Inutile d’avoir peur d’annoncer un truc qui sortira dans 10 ans, c’est mieux que d’annoncer un truc qui sort dans trois jours.
VI. Conclusion▲
Soul of Mask n’a pas été une mauvaise aventure. Son départ était catastrophique, mais à la fin j’ai atteint l’objectif que je m’étais fixé et j’ai appris beaucoup de choses. J’ai tout fait, le design, les graphismes, le développement, le leveling, les musiques, etc. Cela m’a permis, aujourd’hui, de voir à quel point toutes les personnes qui travaillent sur un jeu peuvent être importantes et ce qu’elles peuvent ressentir face à une critique sur l’aspect du jeu qu’ils ont développé. Aujourd’hui, je peux aussi imaginer la charge de travail d’un graphiste, d’un musicien, d’un codeur, d’un level designer, d’un game designer… J’ai aussi vu la place du marketing dans tout cela et, croyez-moi sur parole, c’est parfois même plus de 50 % du jeu. Je comprends pourquoi des gens dépensent des millions pour vendre un jeu au lieu d’utiliser cet argent pour faire un meilleur jeu. Un jeu nul peut être bien vendu, alors qu’un jeu magnifique peut passer inaperçu. Si votre but c’est l’argent, alors vous n’êtes pas obligé de faire le meilleur jeu possible, mais juste un jeu vendable accompagné d’une excellente campagne marketing.
J’ai aussi appris que la télé nous ment (enfin je le savais déjà) et que les gens dans le monde sont plus honnêtes qu’on veut nous le faire croire. Beaucoup de gens font des promesses qu’ils tiennent sans avoir signé de contrat (je parle des deals sur Steam). Bien sûr, ce ne sont pas des bisounours, il y a bien des rapaces à l'affût, et j’en ai aussi fait les frais, mais en gros j’ai encore confiance en l’humanité après cette première expérience.
En somme Soul of Mask aurait pu être fait en beaucoup moins de temps, mais l’ensemble des difficultés rencontrées me permettent aujourd’hui de ne pas être surpris lors de la création de mon nouveau jeu. Oui, il est déjà en cours ! Oui, j’ai l’air de refaire la même erreur de ne pas en parler, mais cette fois c’est justifié et j’en parlerai très bientôt.
J’espère que cette petite histoire aura peut-être une influence positive sur ceux qui veulent se lancer dans le grand bain et je reste disponible s’il y a des questions. Merci.