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Interview de Julien Jorge, développeur du jeu Plee the Bear

Julien Jorge nous raconte l'histoire du développement de Plee the Bear, un jeu libre, et de sa campagne de dons pour en terminer le développement.

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I. Présentation

Image non disponible Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, je suis Julien Jorge, j'ai un core full développeur C++/Java/ActionScript auquel s'ajoute une extension de compétences en graphisme et en musique, modèle « débrouillard 1.0 ». J'aime beaucoup ces technos, j'aime jouer et faire des jeux, et surtout, j'aime les gros projets en équipe.

Image non disponible Pouvez-vous présenter Plee the Bear ?

Plee the Bear est un jeu de plateformes sur PC en 2D où le joueur contrôle un ours en colère parce que son fils a mangé tout le miel des réserves. Il part à sa recherche pour le réprimander, mais, alors qu'il le retrouve, Dieu apparaît et kidnappe le gamin, soi-disant pour sa sécurité ! Du coup, il va falloir les retrouver et sauver le petit… Pour le gifler ?

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Dans sa version finale, le jeu comprendra sept environnements de trois immenses niveaux chacun (ceux qui ont joué à Sonic sur MegaDrive retrouveront la grandeur des niveaux). Il y aura de l'exploration, de l'action et quatorze minijeux à débloquer.

Image non disponible Quelles sont les particularités de votre jeu par rapport aux autres ?

En matière de contenu, nous avons une histoire originale qui met en scène des situations que l'on voit assez rarement dans le jeu vidéo. Nous y évoquons notamment les rapports père-fils et combattons contre l'ultime puissance : Dieu. Nous sommes globalement assez libres dans la réalisation du jeu. Nous nous permettons de combiner des personnages enfantins, un peu d'humour et un scénario avec un peu de profondeur.

Sur l'aspect plateforme nous revenons à un style de niveau très grand avec beaucoup d'explorations et des choix, assez loin de la tendance des dernières années.

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Ensuite, le développement n'est pas banal puisque nous le produisons en logiciel libre pour permettre à tout le monde de reprendre le code ou les ressources. Nous essayons d'être aussi ouverts que possible en mettant en ligne la bible du jeu, le scénario et une estimation du coût de production.

Image non disponible Quels sont pour vous les atouts et les faiblesses de votre jeu ?

Nos principaux atouts sont que nous avons un contenu énorme et diversifié, une histoire et des situations amusantes, et que le projet est parfaitement défini et réalisable. Nous sommes aussi très ouverts et proposons une expérience de jeux à l'écart des jeux de plateformes de ces dernières années.

Les faiblesses se trouvent principalement dans la charge de travail qui est énorme : nous ne pourrons arriver au bout sans soutien. L’esthétique du jeu pourrait aussi être meilleure et nous avons malheureusement une techno qui ne nous permet pas d'accéder rapidement aux plateformes mobiles.

II. Équipe

Image non disponible Pouvez-vous présenter l'équipe de Plee The Bear et leurs rôles ?

Nous sommes quatre dans l'équipe et nous nous connaissons depuis environ 12 à 13 ans, soit la fin du lycée et un peu après. Finalement, le jeu peut être vu comme un projet de copains.

Sébastien Angibaud s'occupe du code au niveau de la logique du jeu. Il se charge aussi de l'intégration des personnages et de la moitié de la conception des niveaux.

Julien Lassalle se charge du design des personnages et de l'orientation visuelle du jeu.

Florian Massuyeau compose les musiques du jeu.

Quant à moi, Julien Jorge, je suis principalement sur le code moteur et outils, l'autre moitié de la conception des niveaux et la production des ressources graphiques. Je gère aussi la communication.

Le planning et la priorisation des tâches sont faits par Sébastien et moi-même.

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Image non disponible Quel est le cursus suivi par chacun des membres de l'équipe ?

Chacun de nous a suivi un cursus à l'université de Nantes. Julien a obtenu un master en histoire de l'art, Florian est docteur en sciences de la matière, et, Sébastien et moi sommes docteurs en informatique (il faisait de la recherche de motifs et je faisais de l'optimisation multicritère).

Image non disponible Avez-vous réalisé des projets antécédents (que ce soit personnel, ou avec la même équipe) ?

Nous avons tenté plusieurs projets ensemble depuis la sortie du lycée, et essayé différents supports. Nous avons fait pas mal de musique, environ quatre albums, ainsi que des vidéos du genre clips et courts-métrages. La plupart ne sont pas disponibles en ligne cependant.

À titre individuel, Julien expose ses toiles et met en ligne ses BD sur ekekandco.free.fr. Florian a rejoint divers groupes de rock et (comme tous les développeurs) j'ai produit ma propre bibliothèque d'outils nommée libclaw. Elle me sert encore beaucoup.

Image non disponible Avez-vous essayé de recruter d'autres membres ? Est-ce que cela a fonctionné ? Quels sont vos critères de recrutement ?

Nous avons fait plusieurs appels à contributions sur la durée de vie du projet. Même si les contributeurs ne s'investissent jamais à fond sur le projet, le résultat était clairement positif. Nous avons eu quelques belles contributions graphiques d'au moins deux personnes, une relectrice dont l'anglais est la langue native, un musicien qui nous a fait des effets sonores, un traducteur norvégien. Il y a aussi eu une personne qui lançait régulièrement un analyseur de code, qui corrigeait les erreurs et qui nous a fait des plugins pour GIMP pour faciliter la création de sprites.

Il y a aussi les personnes qui se chargent d'intégrer le jeu dans les dépôts des distributions Linux, ça nous simplifie grandement le travail.

Ça fait pas mal de monde :)

III. Plee The Bear

Image non disponible Pouvez-vous nous raconter l'histoire de la création et du développement de Plee The Bear (les grandes étapes et anecdotes) ?

Je crois que l'idée nous est venue en 2005, pendant les révisions pour les examens de fin d'année en maîtrise. Nous nous demandions si nous avions les compétences pour faire les jeux auxquels nous jouions sur nos consoles dans les années 90, à savoir un Sonic, un Mario ou un Earthworm Jim. Nous nous sommes donc mis au boulot pour vérifier. Les bases du scénario ont été posées dès le début (un père cherche son fils enlevé par Dieu) mais ce n'est que bien plus tard, en 2011, que nous avons décrit tout le contenu du jeu.

Les personnages ont aussi été définis dès le début. Nous ne voulions pas de personnages humains. Comme les ours sont des personnages typiquement sympas, nous avons choisi cet animal et nous l'avons mis dans l'histoire.

La première démo a été mise en ligne en novembre 2006, mais le jeu n'a commencé à être populaire qu'en janvier 2008. C'est là que nous avons commencé à avoir des vrais retours d'utilisateurs, et des commentaires positifs sur l'histoire, les graphismes et la musique. Suite à cet accueil, nous avons présenté le jeu aux RMLL en 2009 et 2010.


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En 2011, nous avons monté la société Stuffomatic pour nous réunir sur nos projets. Nous avons produit et sorti le jeu Andy's Super Great Park (ASGP) (projet démarré à l'occasion du second week-end de programmation de jeux vidéo de Developpez.com), durant la première année, nous avons monté en parallèle un dossier de subvention auprès du CNC pour Plee the Bear, sans succès. Nous comptons maintenant sur les revenus d'ASGP et sur l'appel aux financements de Plee the Bear pour finir le jeu.

Image non disponible Pouvez-vous nous indiquer les détails techniques de la réalisation de Plee The Bear (et de son moteur) ?

L'architecture globale du projet est assez classique en cela que le jeu est une sorte de plugin du moteur, ce qui nous permet de pouvoir produire d'autres jeux avec les mêmes bases.

L'ensemble est développé en C++. En arrière-plan, nous utilisons la SDL pour les sons et la gestion des entrées, et OpenGL pour l'affichage. Tout cela est rapidement masqué dans le moteur afin de minimiser les dépendances à ces projets et nous permettre de proposer d'autres systèmes.

Nous sommes assez fiers du système de personnages permettant de décrire les enchaînements d'actions, de structurer les corps en plusieurs parties, d'obtenir rapidement une interpolation du mouvement, et d'accrocher une gestion d'événement aux collisions à ces parties ou à des snapshots d'action.

Le moteur est livré avec les éditeurs de niveaux, de personnages et d'animations.

Image non disponible Pourquoi ne pas avoir choisi un moteur déjà existant ?

Un de nos besoins était que les outils seraient pérennes et ne nous coûtent pas une fortune. Du coup le chemin le plus simple était de partir sur des outils libres. Malheureusement, l'offre était assez pauvre.

Quand nous nous sommes lancés sur le jeu, il n'y avait pas de moteur pour jeu de plateformes assez complet, libre ou pas. D'une manière générale, il y avait quelques outils épars, mais rien qui nous simplifie grandement la tâche. Comme nous avions aussi le désir d'expérimenter, l'idée de développer le moteur libre qui remplisse nos besoins nous semblait une très bonne idée.

Image non disponible Quels conseils donneriez-vous à tous ceux qui voudraient créer leur propre moteur ?

Avant toute chose, je vous dirais d'aller lire ceci : http://scientificninja.com/blog/write-games-not-engines.

Si vous voulez vous amuser, avoir de la souplesse, résoudre des problèmes complexes, faire de la technique, de l'optimisation, voir vos créations s'activer sous vos yeux, etc. Faites votre moteur. Si vous voulez créer quelque chose d'utile, concentrez-vous sur votre jeu.

Un des gros problèmes quand on développe le moteur en même temps que le jeu est qu'il n'y a pas de limite. À chaque fois que nous avions une contrainte, nous la levions, sous prétexte que « ça sera mieux » ou que « ça rend tout plus simple ». En réalité, ça rend tout en retard. Quelqu'un qui ne fait pas son moteur aura plutôt tendance à s'adapter aux contraintes plutôt qu'à les lever.

Alors évidemment, à force de passer du temps sur le moteur et les éditeurs, nous avons plein de trucs sympas qui nous permettent de faire nos jeux rapidement, et sans cela, ils seraient beaucoup moins bien. Mais c'est un temps qu'il faut gérer.

Jusqu'à 2011 ce jeu était avant tout un loisir, alors ce n'était pas gênant si le contenu n'avançait pas. Depuis cette date, nous essayons d'en faire un produit et nous avons changé notre façon de travailler pour laisser les contraintes et nous adapter. C'est notamment pour cela que nous avons pu produire Andy's Super Great Park en respectant nos délais.

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Pour résumer : définissez vos priorités.

IV. Financement par la foule

Image non disponible Pourquoi avoir choisi OpenFunding ? Quels sont vos critères ?

C'était un peu un hasard en fait. J'avais dans l'idée de lancer un financement, mais je ne savais pas trop où. Les plateformes de financement participatif sont très à la mode en ce moment et ça devient difficile de se démarquer. De plus, c'est une solution qui ne donne pas de très bons résultats pour les jeux. Quand je suis tombé sur OpenFunding, j'ai tout de suite remarqué qu'ils se démarquaient sur plusieurs points pertinents pour nous :

  • le financement se fait pour chaque évolution du logiciel, ce qui permet d'avoir des petits appels de fonds et de voir les choses se construire ;
  • les sommes sont versées au développeur si et seulement si le travail est fait. Les donneurs peuvent reprendre leur argent s'ils estiment avoir été lésés. C'est un point que je trouve génial, car cela garantit qu'il n'y a pas d'arnaques : on ne disparaîtra pas avec vos sous ;
  • le site est réservé aux logiciels libres, une idéologie qui nous plaît.

Pour tout cela, OpenFunding était la meilleure plateforme pour notre projet. Elle n'est pas très connue, mais finalement, elle nous apporte autant de visibilité que si nous étions dans la masse des projets Ulule, par exemple.

Image non disponible Pensez-vous que laisser un jeu en open source et complètement libre est contradictoire avec le financement par la foule, ou même, en faire un projet commercial ?

Houla :) Je pense qu'un logiciel financé par la foule « doit » être libre. Les sous payent mon temps et mon énergie. Au-delà de cela, je trouverais idiot de me retrouver seul à contrôler le logiciel et à pouvoir le faire disparaître alors qu'il existerait grâce au public.

L'aspect commercial est plus délicat et amène au moins deux remarques : « s'ils peuvent l'avoir gratuitement, les gens ne paieront pas », et « si quelqu'un prend mon projet et le vend à ma place, je me fais avoir ».

Pour la première, c'est très simple : tous les logiciels se font pirater et finissent par être accessibles gratuitement. Les logiciels qui freinent ça avec des DRM et des connexions permanentes à un serveur embêtent les honnêtes payeurs et indiffèrent les pirates. Par conséquent, l'ouverture du projet ne fait pas de différence. Ce ne sera pas un frein à la vente.

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Pour la seconde remarque, c'est un peu plus délicat. Il peut y avoir des revendeurs qui essaieront de nous doubler en vendant le jeu avant nous, ou peut-être en parallèle, mais d'une part cela m'étonnerait que quelqu'un tente une telle opération, et d'autre part, nous pourrons prévenir cela en faisant correctement notre travail de communication et en gérant bien la production. L'idée était d'être effectivement les premiers à vendre et de faire savoir au public que le produit vient de nous. Ensuite, je pense que nous pouvons faire confiance à la gentillesse globale du public.

V. Promotion du jeu

Image non disponible Quels conseils donneriez-vous pour mener une bonne campagne de publicité ?

Je ne sais pas si j'ai le niveau pour donner des conseils sur ce sujet ; j'apprends encore :)

Je peux vous parler d'une erreur que nous avons faite, qui consiste à mettre toute l'énergie sur la production et attendre la finalisation du produit pour en parler. Il faut absolument présenter le projet au plus tôt, recueillir des retours d'utilisateurs et communiquer sur les avancées. C'est très difficile pour des profils comme les nôtres. Nous envoyons des courriels, nous postons dans des forums, sur notre blog et nous ne savons jamais si les gens voient, lisent, ignorent. Même en demandant des accusés de lecture de courriel, ça ne donne rien. Du coup, nous avons tendance à nous dire que nous aurions mieux fait de passer ce temps à coder, mais c'est une erreur. Le code permet de réaliser le projet, mais si tout le monde s'en fiche, est-ce que ça vaut le coup ? Là encore, il faut définir ses priorités : est-ce que je code pour moi ou pour que d'autres jouent ?

Image non disponible J'ai vu qu’Andy's Super Great Park était inscrit sur Steam Greenlight, que pensez-vous de cette plateforme ?

La plateforme Greenlight est une véritable aubaine pour les studios, car elle permet d'avoir des retours de vrais joueurs et de pouvoir discuter avec eux sur les points intéressants ou à améliorer. Nous y trouvons des commentaires intéressants, honnêtes, et des échanges enrichissants.

Comme Steam se débrouillait déjà très bien auparavant pour proposer des jeux très intéressants, je ne suis pas sûr que Greenlight améliore l'expérience des joueurs. Par contre, elle améliore clairement la situation pour les studios pour les raisons citées précédemment.

Image non disponible Que vous apporte-t-elle ?

La plateforme nous a apporté des retours très enrichissants après la soumission. Néanmoins, nous avons mis le projet sur Greenlight en sommeil depuis. Nous n'avons pas assez d'actualité pour alimenter la page du jeu et nous ne communiquons pas sur le projet en ce moment.

Image non disponible Que pensez-vous des autres plateformes comme IndieDB, IndieCity, IndieVania ?

IndieDB est un très bon recueil de jeux indépendants où on peut trouver toutes sortes de projets et échanger à leur sujet. L'ambiance est assez bonne. Je dirai que le principal inconvénient est qu'il y a tellement de projets qu'il est quasiment impossible d'être visible. J'ai un peu utilisé Desura, la plateforme de diffusion associée, et je l'ai trouvée très bien organisée. J'étais très content d'ailleurs de pouvoir l'utiliser sous Linux.

Le fonctionnement d'IndieVania est très intéressant et met grandement les indépendants en évidence. En particulier, ils ne prennent pas de commissions sur les ventes. L'inconvénient est que le fonctionnement très communautaire entraîne parfois des lenteurs dans les échanges.

IndieCity est encore petit, mais assez intéressant et très vivant. On sent que l'équipe qui est derrière se démène et s'intéresse à son produit.

Image non disponible N'y a-t-il pas un trop grand nombre de plateformes ?

Il y en a beaucoup, mais je ne pense pas qu'il y en ait trop. Il y en a surtout pour tout le monde. L'avantage de la quantité est que l'on peut toujours se trouver une place quelque part. Tout le monde veut être sur les plus grosses plateformes, mais il faut bien comprendre qu'on y est en concurrence avec des grands titres des grands studios, que l'on ne trouve pas sur des plateformes plus humbles, et avec tous nos pairs. Cela fait beaucoup de monde et ça devient difficile d'être vu.

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VI. Mot de la fin

Image non disponible Si vous deviez recommencer une telle expérience, que changeriez-vous ? Vous relanceriez-vous dans une telle aventure ?

Si c'était à refaire, je le referais sans aucun doute, en étant plus ouvert et plus communicant sur le projet. D'ailleurs je retente effectivement l'expérience avec Plee the Bear et Tunnel ! Cette fois avec bien plus de connaissances. Nous avons compris de l'expérience Andy's Super Great Park que nous n'aurons pas de difficulté technique à amener un jeu à son terme, mais que nous avons besoin des retours des joueurs et d'améliorer notre communication. Nous travaillons donc sur ces points.

VII. Liens

VIII. Remerciements

Nous tenons à remercier Julien Jorge d'avoir répondu à nos questions.

Merci à zoom61 pour sa relecture orthographique.

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