I. Introduction▲
Aboutir au développement d’un jeu vidéo, en répondant aux défis techniques, à la masse des besognes ou simplement en luttant face au manque de motivation, n’est pas une chose facile.
En rédigeant ce court article, je voudrais partager avec vous l’aventure qu’était le développement de notre premier jeu sur Steam, sorti en janvier 2018. Peut-être que cette expérience aidera certains d’entre vous à relater le parcours de leur propre projet, et même à l’aboutir !
Tout d’abord, comme je n’ai pas fait ce jeu tout seul, laissez-moi vous présenter mon ami Chy.
Il travaille à temps plein en tant que développeur de logiciels et réalise depuis 2009 des petits jeux vidéo entre amis pendant son temps libre.
Un petit mot sur moi, Linko (aka. Marshiell), j’écris actuellement mon mémoire de master en informatique à Berlin (Design and Development of a Distributed Multiplayer Game) et à côté je travaille en tant que développeur de logiciels. Je crée des jeux vidéo depuis tout petit et, depuis une dizaine d’années, je prends plaisir à partager mes projets avec la chaleureuse et compétente communauté de Developpez.com. Certains d’entre vous me connaissent déjà !
Le jeu dont il est question s’appelle Heroes of Delum. Il s’agit d’un jeu de stratégie, jouable en solo ou en coop multijoueur. Il faut combattre des hordes de monstres dans un monde généré aléatoirement. Vous contrôlez un héros sans nom, combattant les sbires arrivés par le portail démoniaque de Delum. Le but est de survivre, collecter des ressources, construire des défenses et améliorer votre personnage.
II. Expériences passées▲
Avant de s’attaquer au développement de Heroes of Delum, laissez-moi vous parler de nos expériences passées dans le développement de jeux vidéo.
Inspiré du monde merveilleux de Zelda : Ocarina of Time et Link’s Awakening, j’ai toujours rêvé de créer mon propre Zelda. Peu après la sortie de RPG Maker 2003, j’ai eu un énorme plaisir à créer toute sorte de jeux et mini-jeux, même s'ils sont rarement aboutis. Une de mes grandes motivations était de montrer mes créations à mes amis Lilian et Kannon_Gemini qui partageaient ma dévotion pour RPG Maker, ainsi qu’à la communauté. Ma passion était sans limites. Mais RPG Maker, lui, avait ses limites. Je me suis donc mis à apprendre le C++ sur le Site du Zéro et j’ai créé mes premiers jeux 3D en réalisant mes propres moteurs.
Pendant ce temps, Chy participait à d’autres projets avec Lilian, avant de m’aider sur les miens. Chy a également développé plusieurs jeux lui-même, utilisant différentes technologies et langages de programmation.
C’est basé sur cette histoire de collaboration, d’entente mutuelle et de passion que nous avons acquis une base fondamentale pour la réalisation d’un projet bien plus imposant.
III. Tout commença par : un défi technique▲
Tout a commencé en juin 2014 quand Chy voulait prouver à notre ami Lilian que synchroniser beaucoup d’unités en temps réel, entre plusieurs clients et d’une manière fluide était possible. Chy a alors créé un prototype en JavaScript (PhaserJS + SocketIO). On pouvait rejoindre une partie et contrôler un héros sur une carte basique. Des unités apparaissent, suivaient le héros via l’algorithme de recherche de chemin A*, et tous les clients pouvaient voir les unités se déplacer, et cela de manière synchronisée.
Inspiré par le résultat, j’ai proposé à Chy de lui faire des graphismes pour rendre le tout plus agréable. Et sans vraiment s’en rendre compte, c’est ainsi que notre projet est né.
L’important dans cette petite anecdote, c’est que dès le départ, avant même de penser à créer un jeu vidéo, une partie technique difficile à nos yeux a été déblayée. Cela nous a ouvert les portes à un nouveau potentiel d’idées et permis de commencer le projet avec confiance.
Comme Chy a beaucoup d’expérience en JavaScript, la création du prototype n’a pas été une si grosse besogne, et recommencer à zéro en utilisant une autre technologie ne nous a causé aucun problème.
IV. Des rôles complémentaires▲
Avec Chy en tant que programmeur et moi en tant qu’artiste, nos rôles se complémentent et permettent de travailler parallèlement sans trop se marcher sur les pieds et de couvrir une grande variété de besoins.
En revanche, je suis à l’origine un programmeur et non un artiste. Ce qui signifie que je dois constamment me former et mes résultats ne sont pas à la hauteur d’un artiste professionnel.
IV-A. De programmeur à graphiste▲
Cela peut paraître décourageant de devoir apprendre tout un nouveau domaine pour arriver à ses fins. Je ne suis pas graphiste de formation initiale, mais c’est un sujet qui m’a toujours intéressé. Me lancer dans ce projet était l’occasion rêvée d’approfondir mon expérience dans ce domaine.
Pendant le développement d’anciens projets, j’ai appris les bases nécessaires pour faire de simples modèles 3D, créer des UV maps et importer le tout dans un jeu vidéo. Rien que connaître ces bases-là m’a permis de pratiquer cet art en ayant pour motivation de voir mes propres modèles dans mes jeux, et ainsi avoir un meilleur contrôle de l’environnement dans mes mondes.
Sous la pression des demandes plus exigeantes de la communauté de Steam, j’ai pu redoubler d’efforts et repousser mes limites afin d’atteindre une qualité plus acceptable dans mes créations 2D et 3D. J’ai encore du chemin à faire, mais cela va sans dire que c’est une expérience enrichissante pour mes prochains projets !
IV-B. Des connaissances interdisciplinaires▲
Même si nous avons commencé avec des lacunes dans les disciplines restantes, telles que le marketing, la communication, le sound design… il faut bien sûr s’en occuper, et ça coûte son temps. Par exemple, pour obtenir des effets sonores, nous devons parfois faire de longues recherches pour en trouver des convenables et gratuits.
Le développement d’un jeu vidéo requiert des connaissances interdisciplinaires et lorsqu’on a un manque de ressources, on s’y jette et on le comble nous-mêmes.
V. Des Milestones réalistes▲
N’ayant jamais sorti de jeu sur Steam, cela n’était pas notre objectif initial. Petit à petit, nous avons itéré le projet en se donnant des buts qui semblaient accessibles. Chaque but a été atteint et finalement nous sommes arrivés jusqu’au bout.
V-A. Preuve de concept▲
Comme expliqué dans le premier chapitre, notre premier milestone atteint était une démo technique, prouvant qu’un style de jeu était concevable de façon réaliste.
V-B. S’amuser▲
De là, on a amélioré le prototype qui est devenu un jeu, simplement pour s’amuser et voir jusqu’où on peut aller. On a joué entre amis, discuté sur les choses à améliorer, itéré, itéré… Au bout d’un an et demi, on s’est mis comme but de partager notre jeu sur des plateformes telles que itch.io et indiedb, ce qui nous a motivé à rendre le jeu un minimum acceptable pour le public.
V-C. Ajout d’un défi : Steam Greenlight▲
Avec le nombre de téléchargements qui n’arrêtait pas de grandir et les retours prometteurs, on a commencé à rêver de Steam Greenlight. Il s’agit d’un système (remplacé l’an dernier par Steam Direct) sur Steam qui permettait à un développeur de poster son jeu, accompagné d’un trailer, de screenshots et d’une description. La communauté devait voter si oui ou non le jeu devrait apparaître sur Steam. Le but était donc de rassembler un nombre maximum de votes pour recevoir le droit de, un jour, voir notre jeu apparaître sur Steam.
Greenlight avait une réputation rude. Si après les quelques premiers jours après publication, un jeu n’avait pas été greenlit, les visites sur la page Steam se faisaient extrêmement rares et les chances d’être encore accepté étaient très maigres.
Tout d’un coup, il n’y avait plus le droit à l’échec. Il fallait peaufiner le jeu au maximum, pour qu’il ait l’air aussi attrayant que possible.
On a cherché du feedback sur les forums et sur reddit, et soudain notre liste de tâches est devenue énorme.
À plusieurs reprises, nous sommes revenus poster nos avancements, et les retours étaient toujours les mêmes : notre jeu n’était pas prêt pour Steam Greenlight.
Cette phase était difficile pour nous, car nous pensions être proches du but, mais en vérité, nous en étions loin.
Finalement, après de nombreux mois de raffinement, nous avons posté notre jeu sur Steam Greenlight et croisé les doigts. Si ça ne marchait pas, au moins nous aurions essayé et nous pourrions passer à autre chose. Les mois ont passé sans que nous nous fassions greenlit.
V-D. Espoir & motivation▲
Aux premières lueurs d’une aurore de juin, les oiseaux chantaient l’arrivée de l’été. Une chaleur astrale traversait les rideaux et emplissait ma chambre d’une aura bienveillante. J’ouvris les yeux. Mon esprit adonné s’empressa de saisir mon téléphone portable et de checker mes mails. « Congratulations, Heroes of Delum has been Greenlit! - Steam Team »
La motivation était énorme. Apparaître sur Steam ! Bien sûr la taille de notre liste des tâches s’est multipliée par 42, mais on avait la certitude qu’on allait apparaître sur Steam !
Alors rebelote : peaufinage, chercher du feedback, itérer, rendre le jeu plus accessible au public, préparer le marketing, le trailer, des screenshots… Les mois passèrent et finalement…
V-E. Sortie sur Steam▲
Nous l’avons fait, nous avons sorti notre premier jeu sur Steam ! Les premiers jours étaient intenses. Nous avons reçu des milliers de messages et à travers le monde, on jouait à notre jeu !
Maintenant, la situation s’est calmée, mais reste constante. Nous recevons du feedback régulier, continuons les mises à jour sous un rythme plus tranquille et sain.
Nous avons encore pas mal de choses sympas prévues pour ce projet !
VI. Un mot sur le travail en équipe▲
Le travail en équipe fut sûrement le facteur le plus décisif dans notre projet. Voici quelques points cruciaux.
VI-A. Outils▲
Il est indispensable de prendre le temps d’installer un environnement de travail pratique pour le travail en équipe. Pour l’organisation des tâches et leur répartition, nous avons utilisé Trello. Pour la synchronisation du code et du projet Unity nous avons utilisé Bitbucket. Pour le partage de ressources et divers fichiers, Google Drive.
VI-B. Communication et professionnalisme▲
Une constante communication ne nous a pas seulement permis de synchroniser notre travail, mais aussi de nous donner mutuellement du feedback.
Lorsqu’un problème demandait une décision à prendre, il n’était pas toujours facile de trouver un terrain d’entente. Ce genre de discussions pouvaient durer des mois, mais le plus important était d’écouter les arguments de l’autre et de céder si les points évoqués étaient convaincants.
VI-C. Organisation▲
Chy travaille à temps plein, j’étudie et travaille à temps partiel. Cela nous laisse au mieux les soirs et les week-ends pour travailler sur notre projet, et ça quand la vie privée n’est pas sur notre chemin. Dû à un calendrier déjà très chargé, on ne s’est pas imposé d’accomplir telle ou telle tâche à une date précise. Il arrive souvent qu’après une journée chargée, on n’eût plus d’énergie pour bosser sur le jeu. C’est pourquoi nous travaillons avec un emploi du temps flexible. Le plus important est de ne pas bloquer son partenaire, ou le moins longtemps possible. L’idéal serait bien sûr que chacun travaille parallèlement de son côté sur des parties indépendantes du jeu, mais il arrive souvent que l’un travaille un bon coup, pendant que l’autre ne peut rien faire et reste inactif pour X raisons, puis inversement.
Si nous travaillions à temps plein sur un jeu, ce serait toute une autre histoire, mais ça n’est malheureusement pas réaliste.
VI-D. Motivation▲
On a eu plusieurs phases de démotivation. Dans un projet si long et finalement si ambitieux, c’est probablement normal. Les raisons sont nombreuses : une tâche ingrate, un nombre de tâches écrasant, des examens, trop de travail en dehors du projet, la vie privée…
Quelque chose de dangereux et très démotivant était lorsqu’on avait un but un peu plus laborieux qu’on ne l’avait imaginé. Par exemple, peaufiner TOUS les graphismes du jeu afin de prétendre à poster sur Greenlight était une tâche qui a pris de nombreux mois, sans en voir la fin. La réalisation du trailer s’est aussi étirée sur le temps, étant donné qu’aucun de nous n’a vraiment d’expérience dans ce domaine. Pendant ces longues périodes, il n’était pas rare de voir passer des semaines entières sans avancement.
Un bon moyen de remotiver son coéquipier était de soi-même se remettre à bosser sur le projet et de partager ses progrès.
Une autre période difficile était après notre arrivée sur Greenlight. Nous n’avions pas rassemblé assez de votes et pendant des mois nous n’avons plus rien fait pour le jeu, car nous pensions que c’était fini. Recevoir le feu vert nous donna de nouveau une motivation énorme pour nous y remettre ;)
VII. Conclusion▲
Heroes of Delum n’était pas notre premier jeu et cela ne nous a pas empêchés de rencontrer tant d’obstacles ! Le plus important à retenir est sûrement qu’il ne faut pas se lancer dans un gros projet sans d’abord avoir acquis de l’expérience. Je conseille aux nouveaux développeurs de commencer par accomplir plusieurs petits projets, d’abord tout seul, puis en équipe. Il faut s’y lancer ! De cette façon, on peut se faire une idée du travail énorme qu’aboutir au développement d’un jeu vidéo représente. Seulement après avoir accompli quelques projets, peut-on prétendre à se lancer dans quelque chose de sérieux.
Pour ceux qui ont déjà de l’expérience et qui veulent commencer un gros projet, faites équipe avec quelqu’un de confiance et qui complémente vos compétences. Soyez sûrs que votre passion est partagée, parce qu’en fin de compte, c’est le fuel de votre projet. Soyez prêts à investir un peu d’argent pour les coûts de serveurs, différents assets… Et aussi, ne voyez pas trop gros ! Heroes of Delum a fini par être un projet titanesque et personne ne l’a vu venir. Nos futurs projets seront sans aucun doute plus compacts !
Pour le moment, l’aventure continue pour Heroes of Delum et nous travaillons continuellement pour offrir des mises à jour à notre communauté.
En regardant en arrière, Heroes of Delum marque un début réussi pour notre équipe. Nous avons appris énormément de choses et acquis beaucoup d’expérience. Malgré des atouts de notre côté, ce fut une route très difficile qu’il ne faut pas prendre à la légère pour nos futurs projets. Nous sommes prêts, et l’aventure continue !