Après des années de polémique, le projet HoloLens de Microsoft a enfin reçu une commande de l'armée américaine. En effet, l'armée américaine a approuvé une commande d'achat de milliers de lunettes de combat basées sur HoloLens fabriquées par Microsoft, des années après que les employés de la grande enseigne de la technologie ont demandé à l'entreprise d'annuler son contrat avec l'armée.
Le projet a été en proie à des retards pour résoudre des problèmes techniques. Les tests opérationnels étaient prévus pour l'automne 2021, mais ont été repoussés à mai 2022. Il a fallu attendre septembre pour que Douglas Bush, secrétaire adjoint à l'acquisition, autorise l'armée à « commencer à accepter » la nouvelle technologie, un rapport d'évaluation était attendu au Pentagone pour octobre 2022.
Microsoft devrait donc amorcer la livraison de certaines des 5 000 unités de lunettes du système d'augmentation visuelle intégré (IVAS) après « des résultats encourageants des tests sur le terrain ».
Pourtant, les versions militaires des Hololens peinent à convaincre les militaires. Selon un résumé du rapport envoyé au ministère de la Défense, les lunettes de réalité mixte HoloLens de Microsoft doivent encore être affinées avant d'être prêtes pour les soldats américains. Un des testeurs est même allé jusqu'à déclarer que « cet appareil nous aurait tués » en condition d'opération.
HoloLens est un casque de réalité augmentée lancé en 2016 par Microsoft qui permet de simuler des hologrammes. Il a été dévoilé pour la première fois lors de la conférence Windows 10 : The Next Chapter, le 21 janvier 2015.
Le casque Microsoft HoloLens embarque un ordinateur qui tourne sous Windows et est doté de 3 processeurs. Il est capable de réaliser la simulation des holographes sans l’obligation d’être connecté à internet. HoloLens s’adapte à plusieurs domaines et suit le rythme de l’évolution du marché de la réalité augmentée. Il est en concurrence avec Oculus et HTC Vive entre autres.
Microsoft a signé pour la première fois un contrat avec l'armée pour développer des lunettes HoloLens modifiées pour le combat il y a près de quatre ans, fin 2018. L'accord, d'une valeur de 480 millions de dollars, a finalement conduit à des conflits internes au sein de l'entreprise, certains employés estimant que leur travail était utilisé pour propager la violence à l'étranger plutôt que d'aider les gens. La division HoloLens a également connu sa juste part d'agitation chez Microsoft, alors que le créateur des lunettes AR, Alex Kipman, a quitté l'entreprise en juin après que des allégations de harcèlement sexuel ont fait surface.
En fin de compte, la pression de l'intérieur n'a pas empêché l'accord militaire de se produire. Le PDG de Microsoft, Satya Nadella, a défendu la décision au début de 2019, affirmant qu'il s'agissait d'une « décision de principe » prise pour aider à « protéger les libertés dont nous jouissons ». Selon un rapport, l'armée pourrait dépenser jusqu'à 21,9 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie pour le programme IVAS, en tenant compte des coûts de maintenance.
L'armée a déclaré en octobre 2021 qu'elle devrait cependant retarder le déploiement de l'appareil, en attendant une évaluation plus approfondie par le Pentagone.
Les lunettes de réalité augmentée, une version personnalisée des lunettes HoloLens, offrent à l'utilisateur un « affichage tête haute », ce qui signifie qu'un hologramme est placé sur son environnement, lui donnant plus d'informations sur ce qu'il peut déjà voir.
La commande de 5 000 lunettes avait été initialement passée en mars 2021, mais avait été suspendue en raison de préoccupations concernant leurs performances. Un test final sur les lunettes n'était pas attendu avant octobre 2022, mais Bush a déclaré à ce moment-là : « L'armée reste convaincue que le programme réussira ».
Un rapport d'audit du 22 avril du Bureau de l'inspecteur général du ministère de la Défense a exercé une pression supplémentaire sur le projet en constatant que l'armée n'avait pas défini de produit minimalement viable en termes de ce que les soldats accepteraient. « L'achat d'IVAS sans obtenir l'acceptation des utilisateurs pourrait entraîner un gaspillage jusqu'à 21,88 milliards de dollars de fonds publics pour mettre en place un système que les soldats pourraient ne pas vouloir utiliser ou ne pas utiliser comme prévu », indique le rapport.
Les IVAS peinent à convaincre les militaires
Le rapport de 79 pages, obtenu par Bloomberg, sur les tests pilotes de HoloLens par l'armée américaine est désigné comme étant « Information contrôlée non classifiée » et n'a pas été rendu public.
Mais un résumé, par Nickolas Guertin, directeur des tests et de l'évaluation des opérations du ministère de la Défense, décrit des tests entraînant des « handicaps physiques affectant la mission », en particulier des maux de tête, une fatigue oculaire et des nausées. Le résumé indique que plus de 80 % des soldats qui ont ressenti une gêne avec la version personnalisée du casque de Microsoft ont présenté des symptômes dans les trois heures. Du côté de Bloomberg, il n'est pas indiqué quel pourcentage de testeurs HoloLens ont globalement ressenti de l'inconfort.
L'acceptation de la technologie « reste faible », selon un résumé préparé pour les responsables de l'armée et du département de la Défense, les soldats se plaignant que les casques ne « contribuent pas à leur capacité à mener à bien leur mission ».
Un des testeurs estime que « les appareils nous auraient tués ». En cause, la lumière émise par les IVAS, qui donnent l’emplacement de leur porteur à « des centaines de mètres ». Les testeurs ont également constaté que le champ de vision des soldats, y compris la vision périphérique, est limité lorsque le casque est allumé, et que l'encombrement et le poids de l'appareil limitent les mouvements du soldat.
Des symptômes qui ne sont pas propres à IVAS, même s'ils sont considérés comme « mauvais » sur le baromètre SSQ
L'une des raisons pour lesquelles les soldats pourraient se méfier du matériel de Microsoft est le potentiel de nausée et de désorientation. Une méta-analyse de 2020 de la maladie induite par la réalité virtuelle a révélé que les participants à la réalité virtuelle avaient un score moyen « relativement élevé » au Simulator Sickness Questionnaire (SSQ) de 28.
SSQ est un framewok développé pour les simulateurs de vol militaires qui évalue les personnes en fonction des symptômes (par exemple, fatigue, maux de tête, fatigue oculaire) associés à des scores pondérés.
« En général, des scores plus élevés sur chaque échelle indiquent des perceptions plus fortes des symptômes sous-jacents de la maladie et sont donc indésirables », explique un article de 2020 sur la notation SSQ. « Sur la base d'un large échantillon de données SSQ recueillies auprès de pilotes militaires, il est suggéré que les scores totaux peuvent être associés à des symptômes négligeables (< 5), minimes (5 - 10), significatifs (10 - 15) et préoccupants (15 - 20 ). Un simulateur dont les scores totaux sont supérieurs à 20 est considéré comme "mauvais" ».
Certaines activités comme les jeux ont produit des scores SSQ plus élevés (34) tandis que d'autres comme le contenu scénique (17) ont été mieux tolérés, selon la méta-analyse. Le temps d'exposition à la réalité virtuelle entre également en jeu : une étude de 2017 sur un environnement de montagnes russes virtuelles a révélé que près des deux tiers des participants ne pouvaient pas supporter 14 minutes d'exposition.
La réalité augmentée (AR), ou réalité mixte comme l'appelle Microsoft, a un effet différent, car une partie du monde réel passe à travers, ce qui diminue la probabilité de désorientation. Cependant, une étude de 2020, The Psychometrics of Cybersickness in Augmented Reality, a examiné la différence entre une tablette et un HoloLens pour fournir des soins tactiques aux blessés au combat – l'une des raisons pour lesquelles le ministère de la Défense s'intéresse à l'AR/VR – et a constaté que le casque de Microsoft peut également provoquer des cybermalaises.
Cybermalaises, l'expérience de Garido
Le cybermalaise ou le mal de la réalité virtuelle (RV) c’est le nom donné à la sensation de nausée ressentie par certaines personnes exposées à un environnement virtuel. Les symptômes du cybermalaise sont semblables aux symptômes du mal des transports.
Nous pouvons également nous intéresser à l'expérience de Garido, chercheur en psychologie et méthodologie à la Pontificia Universidad Católica Madre y Maestra en République dominicaine. Ce dernier a fait deux heures de route entre les campus de son université pour essayer une expérience de réalité virtuelle conçue pour traiter les troubles obsessionnels compulsifs et différents types de phobies. Mais quelques minutes après avoir mis le casque, il a compris que quelque chose n'allait pas.
« J'ai commencé à me sentir mal », a déclaré Garrido au Daily Beast. Il était pris de vertiges et de nausées. Il a essayé d'aller jusqu'au bout, mais il a finalement dû interrompre la simulation presque aussi vite qu'il l'avait commencée. « Honnêtement, je ne pense pas avoir tenu cinq minutes à essayer l'application », a-t-il déclaré. En général le mal de la réalité virtuelle survient lorsqu’un utilisateur est exposé pendant au moins 20 minutes à une expérience présentant des incohérences sensorimotrices par rapport au comportement sensorimoteur du sujet dans le monde réel.
Garrido avait contracté le cybermalaise, une forme de mal des transports qui peut affecter les utilisateurs de la technologie de réalité virtuelle. Le mal était si grave qu'il s'est inquiété de sa capacité à rentrer chez lui en voiture, et il lui a fallu des heures pour se remettre de la simulation de cinq minutes. Si le mal des transports affecte l'homme depuis des milliers d'années, le cybermalaise est beaucoup plus récent. Si nombre de ses causes et de ses symptômes sont connus, d'autres questions fondamentales, comme la fréquence de cybermalaises et les moyens de les prévenir, commencent tout juste à être étudiées.
Le cybermalaise ne résulte pas seulement des commandes d'une expérience de RV. Il peut être dû au matériel (casques individuels) et aux logiciels (expériences, applications et simulations). Kyle Ringgenberg, développeur de réalité augmentée et de réalité virtuelle et cofondateur de la société de logiciels Dimension X, a déclaré que deux conflits sensoriels majeurs entraînent le mal de la réalité virtuelle. Le premier est le même décalage cerveau-corps que celui qui entraîne le mal de voiture et le mal de mer, mais le second est une réponse physiologique différente - et potentiellement encore plus difficile à corriger.
Lorsque nous regardons le monde qui se trouve devant nous, nos yeux se concentrent automatiquement sur un objet en fonction de la distance qu'il perçoit par rapport à nous. Un casque de RV projette des images à une distance donnée du spectateur, mais lorsqu'un objet virtuel apparaît proche, il peut sembler flou, car les yeux de la personne tentent de se concentrer sur lui comme s'il était réellement proche.
Après l'expérience de Garrido, un collègue lui a dit que seuls environ 2% des gens ressentent le cybermalaise. Mais lors d'une présentation destinée à des étudiants potentiels, Garrido a vu des volontaires de l'auditoire se diriger vers l'avant de l'auditorium pour faire la démonstration d'un casque de RV, avant de retourner en tremblant à leur place. « Je pouvais voir de loin qu'ils étaient en sueur et qu'ils étaient mal à l'aise », se souvient-il. Je me suis dit : « Je ne suis peut-être pas le seul ».
Bien que ce rapport mette en évidence les lacunes de la technologie, il indique également des améliorations
Bien que ce rapport mette en évidence les lacunes de la technologie, il indique également des améliorations tangibles, telles que la fiabilité du matériel. Un porte-parole de l'armée a déclaré que les tests des lunettes IVAS étaient jusqu'à présent considérés comme un succès.
« Les résultats émergents indiquent que le programme a réussi dans la plupart des critères d'évaluation de l'armée », a déclaré le général de brigade Christopher D. Schneider dans un communiqué de presse. « Cependant, les résultats ont également identifié des domaines où l'IVAS n'a pas été à la hauteur et nécessite des améliorations supplémentaires, auxquelles l'armée s'attaquera ».
Schneider a souligné que l'armée reste « engagée envers le programme IVAS et la capacité de bond en avant qu'il offrira aux soldats pour gagner sur le champ de bataille ».
Invité à commenter le résumé du rapport de l'armée, Microsoft a voulu présenter une perspective différente :
« Notre étroite collaboration avec l'armée nous a permis de construire et d'itérer rapidement sur le système d'augmentation visuelle intégré (IVAS) pour développer une plateforme transformationnelle qui offrira une sécurité et une efficacité améliorées aux soldats », a déclaré un porte-parole de l'entreprise. « Nous allons de l'avant avec la production et la livraison de l'ensemble initial d'appareils basés sur HoloLens pour remplir notre engagement d'apporter cette technologie de nouvelle génération à l'armée américaine ».
Sources : Internal military evaluations seen by Bloomberg and Insider, rapport d'audit avril 2022, méta-analyse des maladies induites par la réalité virtuelle (1, 2)
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Le , par Stéphane le calme
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