I. Introduction▲
Je me demande bien quel est le pourcentage de projets de jeux web qui aboutissent, et combien subissent un abandon. Il n'y a pas de statistiques disponibles et c'est bien dommage (même si cela serait compliqué à réaliser).
D'un autre côté, je ne sais pas si vous voudriez entendre « il y a 52 % de chances que votre projet n'aboutisse pas » ;-)
Néanmoins à la vue de ce que j'ai pu lire ici et là sur les forums ou les témoignages de créateurs, je pense que la démotivation est de loin la cause principale de ces échecs.
On va donc parler motivation dans ce billet qui sera forcément assez subjectif puisque je vais surtout partager mon expérience et ma vision des choses. Après tout, il vaut mieux prendre conscience du risque d'abandon tout de suite.
II. De la motivation à l'abandon▲
Lorsque l'on commence un nouveau projet, en général on est à fond dedans, on y pense tout le temps et on peut passer des heures à bosser dessus. Pour un jeu web, toute la phase de réflexion et de conception est particulièrement intéressante puisqu'il s'agit de créativité pure : on définit son jeu, on a des idées qui fusent dans tous les sens, on invente des règles, un univers et des mécanismes de jeu. Je pense que pendant toute cette phase il est assez rare d'abandonner puisque ce n'est que du plaisir. On peut même parfois s'emballer un peu trop et pondre un cahier des charges tellement important que le développement sera pratiquement irréalisable (trop long). Ce n'est pas grave, on corrigera alors le tir en simplifiant le périmètre.
Je pense que la phase qui tue, c'est le développement. On commence en étant à fond, on pose les premières briques (modules) et l'excitation est bien présente : la première création de personnage, la mise en place de la carte, le premier déplacement, etc. Chaque nouveau module a son petit moment de magie et de satisfaction.
Alors pourquoi tous ces abandons ? Moi j'appelle ça l'enlisement. Lorsque cette étape de développement commence à durer, on commence à ressentir une sorte de lassitude, l'impression qu'on n'en verra jamais le bout et surtout une impatience de plus en plus forte. Si les premiers jours et les premières semaines sont palpitants, car on pose les fondations de son jeu, au bout de quelques mois cela devient blasant. On préfèrera regarder un film plutôt que de faire trois heures de code, après tout on n'est pas à un jour près, non ? L'abandon commence souvent par la procrastination et si vous n'avez pas touché à votre jeu depuis plusieurs semaines, il y a peu de chances que vous retourniez dessus un jour.
Si vous êtes de nature super motivée, vous tiendrez bon, mais c'est peut-être votre équipe qui lâchera prise. Après tout, c'est votre jeu et les développeurs que vous avez intégrés à votre équipe n'auront pas forcément la même patience que vous. Ils partiront en laissant des bouts de votre jeu en chantier et cela vous démotivera probablement. Lorsqu'un coéquipier quitte le navire, cela complique forcément les choses puisqu'il faudra trouver un remplaçant ou assurer vous-même la charge de travail. Se retrouver seul, avoir la flemme de chercher un nouveau développeur et de tout réexpliquer, bref le ras-le-bol n'est pas loin.
Je pense que plus l'étape de développement dure dans le temps, plus il y a de chances que vous abandonniez le projet. Certains peuvent rester motivés pendant des semaines et d'autres le seront pendant des années. La motivation varie très fortement selon les personnes et c'est pour ça que c'est un des critères les plus importants lors du recrutement des développeurs de votre équipe.
III. Quand les abandons ont-ils lieu ?▲
Comme je l'ai dit, je pense que le risque d'abandon pour cause de démotivation varie selon l'état d'avancement du projet :
- avant-projet : risque pratiquement nul
- charge de travail faible,
- encore très motivé ;
- conception : risque faible
- charge de travail modérée,
- début du projet : motivant, excitation, brainstorming ;
- développement : risque important
- charge de travail importante,
- motivation de moins en moins présente, impatience ;
- pendant la bêta : risque faible
- premiers retours motivants des bêtatesteurs (motivant) ;
- après la sortie du jeu : risque pratiquement nul
- excitation de la sortie du jeu, des premiers joueurs, etc.,
- charge de travail modérée (plus ou moins de la correction de bogues) ;
- sur le long terme : risque important
- beaucoup de jeux disparaissent quelques années après leur sortie par manque de temps, d'argent, ou d'intérêt.
C'est très contestable mais c'est ainsi que je vois la chose, les périodes à fort risque d'abandon sont le développement de la première version (avant la sortie du jeu) et le long terme (ou pérennisation du jeu après sa sortie).
On peut représenter tout cela de la manière suivante :
C'est d'autant plus bête que les pires périodes d'abandon sont justement :
- la fin du développement, car on gâche souvent des mois de travail ;
- le long terme, car on abandonne ses joueurs (souvent les plus fidèles) et c'est moche.
IV. Les causes de ces démotivations ?▲
Voici quelques pistes :
- lassitude : « projet trop long », « ça n'avance pas », « le jeu ne sortira jamais », « j'ai la flemme… » ;
- galères techniques : « ça ne marche pas », « je n'y arriverai jamais » ;
- ras-le-bol général :« encore un développeur qui abandonne !! ».
Votre équipe devrait être un facteur de motivation et non pas le contraire ! C'est pourquoi il est crucial de bien s'entourer dès le début du projet. L'abandon d'un membre est un coup très dur pour le projet et le moral. Une bonne ambiance au sein de l'équipe peut vous donner envie de bosser dessus, communiquez entre vous.
Pour les problèmes techniques, il est parfois nécessaire d'envisager une méthode de contournement comme l'utilisation de technologies plus simples ou l'abandon de la fonctionnalité (provisoirement ou définitivement selon sa criticité pour votre gameplay). Vous pouvez aussi recruter un expert dans le domaine en question pour vous épauler. Abandonner parce que vous n'arrivez pas à développer un module serait très dommage, car il y a de nombreuses aides sur le net et beaucoup de volontaires pour rejoindre des projets.
La lassitude est difficile à combattre, en général si elle intervient lors du développement c'est parce que cela demande trop de temps. La solution est simple : être moins ambitieux ! Votre but doit être alors de sortir un jeu opérationnel rapidement, quitte à sacrifier quelques fonctionnalités que vous pourrez toujours rajouter plus tard. Vous développez depuis six mois et vous n'êtes qu'à 50 % des fonctionnalités ? Faites le tri sur ce qui reste à faire et travaillez d'abord sur les choses indispensables au bon fonctionnement du jeu. Triez les tâches restantes par priorité (critique/indispensable, moyenne, faible) et mettez de côté tout ce qui est superflu (comme le super effet visuel en AJAX que vous vouliez faire lorsque le personnage mange une pomme).
Il est également possible de faire des breaks, lâchez le jeu quelques jours, sortez avec vos amis, etc. Attention cependant à ne pas lâcher définitivement le projet… Le but c'est de s'aérer la tête pour ne pas saturer, mais il ne faut pas que cela conduise à un abandon ! Travailler sur votre projet doit être un plaisir, si cela devient une contrainte et que vous vous forcez, c'est que quelque chose ne va pas…
Les abandons après l'ouverture du jeu sont vraiment bêtes. Une fois le jeu en ligne, il suffit de corriger les quelques bogues et de déléguer l'administration à quelqu'un. Pour tout ce qui est hébergement, il existe des associations qui peuvent s'en occuper (comme www.nainwak.org). Les joueurs seront très déçus d'être abandonnés, pensez-y et trouvez une solution pour le pérenniser. Si la raison est financière, des hébergements pratiquement gratuits sont possibles (encore nainwak par exemple). Des joueurs peuvent peut-être héberger le jeu si vous le leur demandez…
Enfin il faut arrêter de croire qu'on peut refaire son MMORPG professionnel préféré en quelques mois. Un jeu professionnel prend des années à créer avec des dizaines de développeurs, de designers et de chefs de projet à temps plein, et ce n'est pas pour rien…
V. En bref▲
Voici ce qu'il faut retenir de ce billet :
- bien s'entourer est important, choisissez des gens en qui vous avez confiance et qui ne baisseront pas les bras dans deux mois ;
- la création d'un jeu est un marathon, et non un sprint, ne partez pas trop vite sous peine de vite en avoir marre ;
- travailler seul est moins motivant que de travailler en équipe, car on a l'impression de traverser un désert seul jusqu'au lancement ;
- essayez de sortir un jeu opérationnel le plus rapidement possible puis enrichissez-le via des mises à jour ;
- ne soyez pas trop ambitieux sur le périmètre fonctionnel initial lors de la conception (non, vous n'allez pas refaire World of Warcraft à deux en six mois) ;
- assurez-vous au préalable d'avoir le temps libre nécessaire pour un tel projet ;
- n'abandonnez pas votre jeu après sa sortie, des gens peuvent sûrement s'en occuper.
En espérant que ces quelques pistes vous seront utiles. Mais bon, après tout il n'y a pas de formule magique pour rester motivé, tout dépend de vous ! Ces quelques conseils ne sont là que pour améliorer vos chances de réussite ;-)
VI. Remerciements▲
Merci à DA de nous avoir permis de publier ses articles que vous pouvez retrouver sur son blog.
Merci à ClaudeLELOUP pour sa relecture orthographique.