I. Introduction▲
Suite à une discussion que j'ai eue récemment, voici une petite réflexion (rapide) autour du public cible d'un jeu et des éventuels impacts que cela peut avoir au quotidien pour l'administrateur. L'expérience m'a montré qu'essayer de concilier plusieurs types de joueurs n'est pas une chose facile et peut même parfois s'avérer être une tâche assez pénible…
II. Public cible ?▲
Lorsque vous commencez la conception de votre jeu, il faut forcément se poser la question suivante :
« Quel est le profil du joueur que j'essaie de séduire ? »
En effet, selon que vous recherchiez à réunir une communauté de casual gamers (joueurs occasionnels), hardcore gamers ou encore de rôlistes ; vous n'allez pas proposer le même genre de gameplay, de charte graphique, de narration, etc.
Il est donc important de bien définir votre cible : plutôt des hommes ? des femmes ? de quelle tranche d'âge ? et qui jouent combien de temps par jour ? etc.
II-A. Quelques exemples de profils▲
Si je devais classifier les joueurs, il y aurait probablement trois profils-clés (bien connus).
II-A-1. Le casual gamer▲
Un joueur « casual » (parfois appelé casu) dispose en général d'un temps de jeu limité et ne cherchera pas forcément la performance mais juste de profiter du jeu. Sa connaissance du jeu est en général assez moyenne et son investissement au sein du jeu et de sa communauté est limité.
Il fréquente peu les forums, n'est pas très actif lors des regroupements de joueurs et ne se tient pas forcément au courant des mises à jour et de la vie du jeu. Puisqu'il est silencieux on a un peu tendance à l'oublier et pourtant c'est souvent la plus grande majorité des joueurs.
II-A-2. Le hardcore gamer▲
Un hardcore gamer est un joueur chevronné, il essayera d'optimiser son expérience de jeu afin d'être le plus fort (on appelle parfois cela le grosbilisme), le premier au classement ou d'atteindre les différents objectifs proposés. Ce joueur est souvent passionné et va essayer d'avoir la meilleure connaissance possible du jeu, de ses règles et de ses mécanismes (toujours afin d'optimiser son personnage par exemple).
II-A-3. Le rôliste▲
Le rôliste orientera son expérience de jeu autour de l'aspect jeu de rôle s'il est présent. Il sera très présent au sein de la communauté du jeu à laquelle il présentera son personnage et son histoire. Il vivra l'expérience du jeu via la construction souvent très poussée de son personnage via le roleplay (récits écrits sur les forums, etc.).
Ces joueurs sont souvent littéralement amoureux du jeu (ou de leur personnage) et ne comptent pas les heures passées sur ce dernier, la plupart du temps passé à faire de la diplomatie ou à échanger avec d'autres joueurs. Ces joueurs seront fidèles à votre jeu si vous prenez soin de votre communauté.
III. Problématiques▲
On retrouve au sein de la communauté de mon jeu des représentants des trois genres nommés ci-dessus et même si j'ai souvent considéré que cette diversité était profitable, il faut bien avouer que c'est avant tout un bon nombre de casse-tête…
À vue de nez je pense qu'on peut distinguer (au sein de la communauté de mon jeu) 60 % de joueurs « casual », 25 % de joueurs orientés « roleplay » et 15 % de joueurs cherchant avant tout la performance (« hardcore »).
Attention, ceux qui gueulent le plus fort ne sont pas forcément les plus nombreux en nombre. Ce n'est pas parce que cinquante personnes râlent que vos 2000 joueurs sont insatisfaits. Les gens ne se manifestent que lorsqu'ils sont mécontents, le silence étant alors souvent signe de satisfaction.
La première erreur serait de ne pas définir de profil type et de foncer tête baissée. C'est un peu ce qui avait été fait sur notre projet, nous avions fait de la promotion via pas mal de sites de natures différentes : fansites Warcraft, forums de jeux web, forums roleplay, forums généralistes sur les jeux vidéo (comme le tristement connu jv.com), etc. Une promotion basée (comme souvent) sur le racolage, en essayant de rameuter un peu n'importe qui, n'importe quel profil.
Ceci a eu pour conséquence la formation d'une communauté très riche en profils, j'ai ainsi pu croiser des retraités fanatiques de roleplay ou des plus jeunes joueurs de 13/14 ans qui jouaient à Warcraft 3 à l'époque. Cette communauté hétéroclite a bien fonctionné un certain temps mais je me suis rapidement rendu compte que cela posait un certain nombre de soucis…
III-A. Gameplay▲
Normalement vous concevez un jeu et vous le proposez au public, le jeu vise un certain type de joueurs (gameplay, thème…) et ce sont les personnes intéressées par votre gameplay qui viendront s'inscrire.
Par exemple si vous faites un jeu de simulation équestre avec une charte graphique colorée, kawaii et girly, il y a des chances que votre public soit féminin avec une tranche d'âge assez jeune (13+). D'un autre côté si vous faites un jeu de rôle post apocalyptique assez glauque, avec des insultes dans tous les dialogues, de la drogue, etc. le public sera probablement masculin et un peu plus âgé.
Si vous ne prenez pas assez en considération votre cible lors de la phase de conception, vous risquez de vous retrouver coincé entre deux types de profil ce qui peut poser un réel problème à la longue.
Au niveau du temps de jeu par exemple. Dans les jeux en ligne "alternatifs" asynchrones, le temps de jeu par jour est assez bref (et limité), en général en quelques minutes on a effectué les actions possibles par jour ou par tour. Mais il peut arriver que des joueurs plus disponibles que d'autres viennent vous aborder pour demander plus de temps de jeu (plus de points d'action, des tours plus rapides, etc.).
Si vous décidez de répondre positivement à cette requête, il y a de fortes chances que les joueurs les plus casual ne vont pas apprécier, car ils ne disposeront pas du temps nécessaire pour en profiter. Pire, ils pourront en souffrir si cela entraîne un déséquilibrage entre un joueur ayant une forte disponibilité et un casual. Par exemple si vous passez de un tour par jour à deux tours par jour, certaines personnes peuvent être amenées à rater un des deux tours par manque de temps de jeu.
Il y a une infinité d'exemples de cas où aller dans le sens d'une partie des joueurs va enchaîner un mécontentement général ou un déséquilibre pour d'autres.
Ainsi, introduire des mécanismes très axés réalisme et roleplay dans le gameplay fera plaisir aux rôlistes mais mécontentera les autres joueurs que cela n'intéresse pas si cela s'avère être pour eux une contrainte de jeu (par exemple une arme qui a une chance de se casser lors d'une attaque, les échecs critiques, etc.).
Inversement, introduire des mécanismes destinés aux fans du grosbillisme ne fera pas forcément plaisir à ceux qui jouent à votre jeu pour son roleplay.
III-B. Ambiance▲
Il peut être explosif de mélanger au sein d'une même communauté tous ces grosbills, casuals et autres rôlistes pour une multitude de raisons.
Rien qu'au niveau de la communication au sein de la communauté (sur un forum par exemple), il peut y avoir des difficultés entre vos rôlistes, probablement très portés sur la prose, et votre armée de casuals de 15 ans qui vont écrire en SMS malgré les nombreux rappels de vos modérateurs. Je vous conseille fortement de créer des structures (channel irc, forum) dédiées au roleplay afin d'éviter cet écueil.
Au-delà de la syntaxe, il semblerait que les joueurs ayant un profil de hardcore gamer aiment bien titiller les autres joueurs (ou taunt). Par définition, un hardcore gamer recherche la performance, et cette dernière est souvent utilisée à des fins assez discutables comme anéantir les joueurs plus faibles, provoquer les autres joueurs, se mettre en valeur. Ce comportement peut instaurer une mauvaise ambiance à la longue (lassitude).
Certains étant de grands enfants, ne soyez pas étonnés si vos rôlistes se plaignent systématiquement après une mise à jour ne les concernant/intéressant pas, il en sera de même pour les casuals ou les "hardcore".
IV. L'administrateur, ce bon Samaritain▲
Se retrouver face une communauté hétérogène peut être un vrai casse-tête pour l'administrateur d'un jeu. En effet ce dernier souhaite en général (je l'espère pour vous) que les joueurs s'amusent et apprécient le jeu. Or il est parfois impossible de satisfaire toute sa communauté si elle est trop divisée. À partir du moment où faire plaisir à certains joueurs en fera enrager d'autres, c'est la galère. Et cela vous arrivera probablement. D'ailleurs c'est ce que l'on voit un peu partout, notamment dans tous les gros jeux « pro » online où une partie de la communauté appréciera une mise à jour pendant que d'autres joueurs menaceront d'arrêter de jouer.
Cette situation est hautement stressante pour le créateur, car il se retrouve dans une boucle infinie d'insatisfaction avec souvent des râleurs acharnés sur le dos. Pourtant c'est bien à lui d'apprendre à faire abstraction de ces manifestations et de s'en tenir objectivement aux faits. Il doit garder le cap qu'il veut donner à son jeu quitte à perdre une partie de sa communauté.
Oui, s'il y a bien une chose que je pense avoir apprise, c'est qu'il est réellement impossible de satisfaire tout le monde et plus particulièrement lorsque l'on a une communauté disparate. Plus votre communauté sera cohérente, plus il sera facile pour vous d'orienter l'évolution de votre jeu.
S'acharner à satisfaire tantôt un type de joueur, tantôt un autre, se révélera être épuisant autant pour la communauté que pour le créateur. Si votre cœur balance, votre jeu manquera probablement de cohérence sur le long terme, car il n'y aura pas de cohérence au niveau de son évolution. Au final il y a des chances que vous frustriez tous vos joueurs, car ils n'auront pas pleinement satisfaction si vous allez tantôt vers les casuals, tantôt vers les rôlistes, etc.
C'est un peu comme si une chaîne de télévision musicale diffusait alternativement des clips de musique classique et du grindcore… qui regarderait une telle chaîne ? Les fans de musique classique ou les amateurs de riffs brutaux ? Ni l'un ni l'autre à mon avis. À vouloir concilier deux profils incompatibles d'utilisateur, on a tué l'intérêt des deux envers notre produit car ils n'apprécieront que 50 % de son contenu.
Il aurait été bien plus profitable de ne passer qu'un seul type de musique, la cible aurait été moins volumineuse en nombre d'auditeurs, mais la satisfaction aurait été plus importante ce qui rend plus facile la fidélisation (ce qui est notre but, le nombre de joueurs n'important peu).
Ainsi je pense qu'il est important de bien définir dès le tout début le fil directeur pour son jeu, afin d'avoir une cohérence sur le long terme et de pouvoir pleinement satisfaire sa communauté. Ce fil directeur est intimement lié à votre cible. Je pense même qu'il est parfois nécessaire (for the greater good) de se « séparer » des intérêts d'une partie de ses joueurs si la situation devient trop instable et ingérable. Dans notre analogie musicale cela reviendrait à ne diffuser que de la musique classique, quitte à perdre les fans de grindcore.
Il ne faut pas négliger l'impact psychologique que peut avoir une communauté sur un administrateur (les bons retours comme les mauvais). Ce dernier peut finir littéralement excédé, ce qui peut parfois mener à un abandon du projet. Eh oui, pourquoi prendre sur son temps libre pour travailler bénévolement pour une bande de râleurs ? Autant aller au cinéma, jouer au ping-pong ou s'occuper de son jardin sous le soleil…
V. Conclusion▲
Cette réflexion est évidemment sujette à discussion, il s'agit principalement de l'expérience que j'ai eue, qui peut probablement varier fortement d'un créateur à un autre. Certains stéréotypes sur les profils de joueurs sont forcément faciles, mais étaient nécessaires pour me faire comprendre.
Ce qu'il faut retenir c'est qu'il faut choisir un cap dès le départ, et faire confiance à son jugement (sans être fermé aux critiques pour autant). Il sera bien plus facile de satisfaire vos joueurs s'ils constituent une communauté homogène.
Dans tous les cas, il y aura toujours d'éternels insatisfaits, et vous n'y pourrez rien ;-)
VI. Remerciements▲
Merci à DA de nous avoir permis de publier ses articles que vous pouvez retrouver sur son blog .
Merci ClaudeLELOUP pour sa relecture orthographique.